LUNARD

 

Chapitre 1


Remus Lupin parcourut à pied les derniers mètres le séparant de leur lieu de rendez-vous. La proximité du Ministère ne rendait guère discret ce genre de rencontre, mais aujourd’hui, ils n’avaient pas eu le choix. Regardant prudemment autour de lui, il s’apprêtait à sortir d’une ruelle sombre lorsqu’une douleur foudroyante le frappa en pleine poitrine.
Il aspira plusieurs grandes bouffées d'air frais, espérant ainsi atténuer la sensation d'oppression qui le tenaillait, mais il sentit sa main se crisper machinalement sur sa poitrine. Un poignard à la lame acérée semblait s'enfoncer lentement et insidieusement dans son cœur.

Il se pensait pourtant immunisé contre ce genre de chose. Il avait passé tant d’années à se fermer, tant de temps à s’endurcir… Mais il s'était trompé et cela faisait mal, bien plus même qu'il ne l'aurait imaginé. Comment avait-il pu être à ce point imprudent, lui qui restait sans cesse sur ses gardes? A quel moment sa vigilance s'était-elle éteinte ?

« Ah les hommes mûrs ! J'adore ! On découvre tant de choses à leurs côtés ! »

Non, ce n'était pas là. Il aurait pu s’agir de n’importe qui et il était surpris d’avoir prêté attention à une remarque si anodine.

« Les grands bavards me saoulent ! Je préfère les taciturnes, ils ont quelque chose de… mystérieux. »

Là non plus. Il y avait, certes, ambiguïté mais son regard taquin n’avait pas quitté Sirius pendant sa tirade.

« Si je trouve Remus séduisant ?… Bien sûr. Sans l'ombre d'un doute. »

De toute évidence, c'était là… Nymphadora Tonks le trouvait séduisant et il s’était laissé piéger comme un débutant. Cette phrase avait pourtant été dite avec un naturel parfait, sans équivoque, comme si un simple fait venait d’être énoncé.

Remus Lupin était un homme séduisant.

Il ne s’était pourtant jamais considéré comme tel et venant de la bouche d’une très jeune femme, ce compliment semblait presque déplacé. Et pourtant, une partie de lui s’en était souvenue. Une partie de lui avait même aimé.

Le poignard fiché dans son cœur fit un quart de tour et s'enfonça davantage dans sa poitrine lorsque Tonks resserra son étreinte autour de l'inconnu. La voir dans les bras d'un autre lui était tout simplement insupportable.

Comment en était-il arrivé là ? Comment avait-il fait pour ne rien voir ? Il aurait pourtant dû se méfier, percevoir le danger. Même Sirius l'avait averti, inconsciemment soit, mais il avait vu le changement s’opérer en lui. Alors pourquoi n’avait-il pas pris ses propos comme une mise en garde ? Pourquoi s’était-il contenté de sourire ?

- Je te trouve bien… joyeux, en ce moment, avait brusquement lancé Sirius en s’affalant négligemment sur le siège jouxtant le sien. Non pas que le terme te définisse parfaitement… Tu n’as jamais été un gai-luron… mais tu traînes un drôle de sourire depuis quelques jours.

Tranquillement assis dans le lugubre salon des Black, Remus avait tourné un regard surpris vers son ami. Celui-ci l’observait avec une méfiance plus qu’exagérée et il s’était contenté de sourire.

- Tiens ! Le revoilà ! s’était alors écrié Sirius avant de brandir sa baguette.

Un bruit assourdissant s’était fait entendre et, dans un nuage de poussière, le lourd et imposant miroir accroché au mur était venu se planter devant Remus.

- Regarde !

Mi-amusé, mi-exaspéré, Lupin avait simplement repoussé la glace sans même jeter le moindre coup d’œil sur son reflet. Mais peut-être avait-il eu tort ?

Il ne s’était pas vu changer. Il n’avait rien remarqué de différent dans son comportement et les paroles de son meilleur ami ne l’avaient donc ni choqué, ni gêné.

Aurait-il vu ce fameux sourire, s’il avait pris la peine d’examiner son reflet ? En aurait-il tiré les conclusions qui s’imposaient ? Aurait-il alors pu prévoir la douleur lancinante qui irradiait dans sa poitrine ? Et quand bien même… cela aurait-il changé quelque chose ?

Oui, l’attention de Nymphadora Tonks l’avait rendu heureux et il venait à peine de s’en rendre compte. Pour la première fois depuis des années, il plaisait à une femme — une très jolie femme, pour ne rien gâcher — et il avait bêtement cru qu’il y resterait indifférent.

Mais voilà, elle étreignait un autre homme et la douleur dans sa poitrine lui prouvait combien il avait eu tort de penser cela. Combien il s’était montré imprudent.

Combien il était en danger, à présent.

Ce fut dans un état second que Lupin vit la jeune femme desserrer son étreinte et il recula machinalement dans l’ombre. Mais il ne fut pas assez rapide. Tonks venait de le voir et s’écartait de l’homme avec un empressement auquel il préféra ne pas donner de signification. Elle leva vivement la main vers lui et il fut donc contraint de les rejoindre. Chaque pas lui coûtait et malgré lui, son regard examina avec une attention qu’il jugea aussitôt méprisable, le visage de l’inconnu. Il lui apparut si douloureusement jeune, sain et beau que le nœud dans sa gorge se resserra.

- Remus ! Tu es là depuis longtemps ? demanda vivement Tonks.
- Non. Je viens d’arriver.

Il eut du mal à reconnaître la froideur de sa propre voix. L’homme lui souriait pourtant avec chaleur et en temps ordinaire, Lupin se serait montré tout aussi aimable mais il en fut brusquement incapable.

- Ah, bien ! Laisse-moi te présenter Colin, s’empressa de continuer la jeune femme. Nous avons fait nos classes ensemble. Il était juste venu me dire au revoir avant de partir prendre son nouveau poste à Edinburgh.

La lame acérée fichée dans son coeur se retira d’elle-même, laissant pourtant une plaie béante. Soit, il s’était apparemment mépris sur les liens unissant les deux jeunes gens mais la découverte qu’il venait de faire l’avait ébranlé.
La promptitude avec laquelle Tonks s’était expliquée avait cependant retenu l’attention de Colin qui observa Remus d’un œil nouveau. Le visage fermé de celui-ci sembla le conforter dans ses déductions.

- Ne vous faites pas de fausses idées, surtout ! Tonks est juste une amie.

Les joues de la jeune femme se colorèrent violemment.

- Cela ne me regarde pas, se contenta de dire Remus en se détournant.
- Ah ? … Vous n’êtes pas…

Colin reporta son attention sur Nymphadora et, découvrant son air embarrassé, grimaça un sourire d’excuse.

- Euh… désolé. C’est tout moi, de tirer des conclusions hâtives.

Lupin se garda bien de répondre, trop furieux contre lui-même de voir un parfait inconnu capable de lire si bien en lui. Pourquoi ne pouvait-il tout simplement pas sourire et hâter leur départ ? Cela semblait si simple à faire. Juste un sourire.
Mais il ne s’en sentait même pas la force.

Il ne vit donc pas le regard de Tonks détailler avec attention son visage fermé, et encore moins le fin sourire naître peu à peu sur ses lèvres. Elle se tourna finalement vers Colin et le rassura en pressant son bras d’une main ferme.

- Envoie-moi un hibou lorsque tu seras installé là-bas.
- Je le ferai, répondit le jeune homme. Bon courage, en tout cas.

Il avait lancé cette phrase en jetant un coup d’œil significatif à Remus et celui-ci sembla enfin reprendre ses esprits. Il abaissa son regard vers Colin, hocha la tête en signe de salut puis s’éloigna de quelques pas afin de leur laisser un peu d’intimité. Il avait à peine fait plusieurs mètres que l’homme s’empressait de lancer d’une voix étouffée :

- Sympa ton ami… Et il mord quand on s’approche trop près ?
- Chut ! Je t’assure qu’il n’est pas comme ça, d’habitude.

Ce furent les dernières paroles qu’il entendit. Le reste ne fut plus qu’un murmure.

Non, il n’était pas comme cela d’habitude. Mais d’habitude, il ne subissait pas cette avalanche d’émotions et de sentiments qu’il avait passé tant d’années à fuir. L’amitié lui suffisait. L’amitié était quelque chose en quoi il croyait. Elle lui était même nécessaire pour lui faire oublier ce qu’il se refusait à avoir.

Mais sa tranquillité venait de voler en éclat.

Il était attiré par Nymphadora Tonks.

- On peut y aller si tu as fini de rêvasser.

La voix de la jeune femme le tira de ses pensées. Colin était parti et Tonks levait vers lui un visage souriant. Elle arborait à présent de longs cheveux bruns, beaucoup plus discrets que ses habituelles boucles aux couleurs écarlates.

- Euh, oui… allons-y…

Et sans attendre un instant de plus, ils transplanèrent et rejoignirent le Chemin de Traverse. Comme toujours, un monde fou déambulait dans l’artère principale et le trajet jusqu'à l'Allée des Embrumes se fit dans un quasi silence. Nymphadora avait bien tenté d'alimenter la conversation mais les réponses monosyllabiques de Remus avaient eu raison de sa bonne volonté… pour l'instant.

De toute façon, la découverte qu’elle venait de faire méritait bien quelques minutes de réflexion. Après tout, elle commençait à désespérer. Certes, elle s’était jusque là montrée relativement subtile. Tout du moins, aussi subtile qu’il lui était possible de l’être et Remus n’avait pas semblé le moins du monde intéressé.

Jusqu’à aujourd’hui.

La froideur inhabituelle de Lupin envers Colin n’avait après tout qu’une explication possible. Lui, toujours si aimable, toujours si enclin à se montrer accueillant envers les nouvelles personnes qu’on lui présentait, n’avait qu’une raison de se montrer soudain si distant...

La jalousie.

Tonks laissa le sourire qu’elle tentait par tous les moyens de réfréner, éclairer enfin son visage. Elle baissa vivement la tête afin de le cacher mais l’euphorie qui l’habitait était bien trop grande pour qu’elle puisse plus longtemps rester de marbre.

Elle jeta un bref coup d’œil à l’homme silencieux, marchant à ses côtés. Remus avait relevé le col usé de son manteau, cachant en partie son visage, mais son regard alerte fouillait discrètement la foule présente sur le Chemin de Traverse. Au premier abord, son expression si grave ne semblait guère différente de celle qu’il arborait ordinairement mais Tonks avait passé des semaines à observer son comportement et ses habitudes. Aussi pouvait-elle affirmer sans crainte de se tromper qu’il était à l’heure actuelle de méchante humeur. Peut-être se reprochait-il son propre comportement envers Colin ? Ou peut-être craignait-il de s’être montré trop transparent ?

Tonks sourit de nouveau et se détourna. Quelques secondes plus tard, ils rejoignirent enfin les abords de l’Allée des Embrumes et l’atmosphère changea aussitôt. La foule était moins dense, moins bruyante, moins colorée. Répugnant presque de se trouver là, chacun vaquait à ses occupations tête baissée, avec une hâte suspecte. Des vapeurs épaisses et noirâtres s’échappaient d’échoppes bordant les ruelles et assombrissaient l’atmosphère déjà sinistre des lieux.

Tonks rajusta machinalement sa cape.

Dumbledore leur avait demandé de faire un tour dans l’Allée des Embrumes afin de s'assurer qu'il n'y avait pas d'activités plus frauduleuses que d'ordinaire. Tout en marchant silencieusement dans la rue, ils observèrent donc avec attention les visages des sorciers qu'ils croisaient, cherchant à identifier un éventuel Mangemort ou tentant de saisir des bribes de conversations.

Mais après quelques longues minutes d’une recherche infructueuse, Tonks engagea de nouveau la discussion.

- Tu comptes faire longtemps ton Sirius ?

Les sourcils de Remus se haussèrent et il se tourna vers la jeune femme.

- Excuse-moi ? dit-il, surpris.
- Bougonner, être désagréable, tu vois ?
- Je suis toujours comme ça.

Sa voix était froide, distante et Tonks secoua la tête.

- Non, non non. Taciturne, silencieux, ok. Mais là, j'ai vraiment l'impression de parler à un Sirius des mauvais jours… en moins agressif, je te l'accorde, ajouta la jeune femme devant le regard sceptique de Lupin.
- On a tous nos mauvais jours et puis, tu supportes très bien ton cousin, il me semble, répondit-il plus doucement, cherchant apparemment à retrouver un semblant d’amabilité.
- Oui, à petites doses ! Et je ne vis pas avec lui…
- Ni avec moi.
- C'est un reproche ? Sinon, ça peut s'arranger tu sais, lança-t-elle négligemment.

Remus ralentit et lorsque Tonks leva les yeux vers lui, elle croisa son regard stupéfait. Il se détourna aussitôt mais dut attendre quelques secondes avant de retrouver l’usage de la parole.

- Euh… ce n'est ... balbutia-t-il, ses joues se colorant d’embarras.

Devant l’incapacité de Lupin à s’exprimer davantage, Nymphadora comprit qu'elle était peut-être allée trop loin, et elle enchaîna aussitôt :

- Tu as raison ! Ne brûlons pas les étapes… Invite-moi à dîner, ça sera un bon début, conclut-elle en souriant.

Elle dut attendre encore quelques secondes pour obtenir une réponse.

- Je ne pense pas que cela soit le moment idéal, répondit posément Remus, les joues toujours empourprées.
- Non bien sûr, cela va de soi ! acquiesça-t-elle vivement avant de lancer : … Ce soir ?

Elle le vit ciller puis rajuster inutilement le col de sa cape afin de cacher son visage mais il resta silencieux.

- Demain alors ? insista-t-elle. Je connais une petite taverne bien …

Un grognement agacé la fit taire puis elle se sentit poussée sans douceur dans l’une des petites ruelles désertes de l’Allée des Embrumes. Ainsi molestée, elle voulut protester mais l’idée de se trouver seule avec Remus dans un coin sombre lui fit fermer hâtivement la bouche.

- Ecoute-moi, s'il te plait, dit-il avec un sérieux qui la fit sourire malgré elle. Avec tout ce qui arrive en ce moment …
- Justement ! Faut bien se détendre un peu !
- Nymphadora... je suis navré, je ne peux pas…

Sa voix était lasse, presque amère et la jeune femme fronça les sourcils, inquiète.

- "Tu ne peux pas" ? Tu veux dire … "techniquement" ?

Le visage de Remus sembla osciller entre incrédulité et exaspération mais un sourire amusé vint finalement détendre ses traits fatigués.

- Tu veux bien me laisser finir mes phrases ? Ca t'éviterait de tout comprendre de travers.

Tonks laissa échapper un soupir de soulagement puis redressa finalement la tête, souriante.

- Bien, puisque le matériel fonctionne, alors…
- Alors là n'est pas le problème… la coupa-t-il.
- Quoi ? Tu préfères poilus ?

Remus devint si pâle qu’elle crut être allée trop loin dans la plaisanterie mais lorsqu’il leva vivement les yeux vers elle et découvrit le nouvel aspect qu’elle avait revêtu, un fin sourire se dessina sur ses lèvres. Il faisait à présent face à un homme à l'allure massive, au regard moqueur et la barbe bien fournie.

- Ton sens de l'humour me surprendra toujours, commenta-t-il en soupirant.
- N'est ce pas ? dit-elle fièrement. Bien, maintenant que nous sommes fixés sur tes préférences…
- Tu ne vas recommencer ! s’exclama-t-il, exaspéré.
- Je n'ai pas souvenir d'avoir arrêté.

Elle lui lança un sourire éblouissant.

- Nymphadora… ça suffit. On a une mission à remplir, tu te souviens ? lâcha-t-il en désespoir de cause.

La jeune femme sentit aussitôt la moutarde lui monter au nez.

Elle ne comprenait pas… Elle lui plaisait, oui ou non ? Elle ne s’était pourtant pas trompée tout à l’heure. Il s’était bien montré jaloux !

- C'est moi… c'est ça ? demanda-t-elle brusquement.

Remus se contenta de l’observer avec perplexité et elle enchaîna.

- Je ne suis pas assez sexy à ton goût ? Je peux arranger ça tu sais, regarde !

Et l'homme massif se transforma en une blonde pulpeuse et sexy à souhait. Une main posée négligemment sur sa hanche, elle s'avança vers Remus dans une attitude dénuée d'équivoque et glissa lentement ses bras autour de sa nuque. Elle avait cru qu’il éviterait cette étreinte comme il évitait tout sujet un peu trop osé mais il n’avait fait aucun geste pour s’esquiver et Tonks se troubla. Elle n’avait pas prévu cette situation. Elle ne s’y était pas préparée et voir le visage de Remus si proche, sentir son parfum ambré, la plongea dans un état proche de l’apathie. Ses jambes se mirent à vaciller et son corps s’affaissa lentement contre celui de Lupin. Ce dernier ne bougea pourtant pas, la mâchoire crispée, le regard lointain.

Les yeux levés vers lui, Nymphadora observa avec une agitation grandissante les muscles de sa mâchoire rouler sous sa peau et une envie irrésistible de l’embrasser la saisit. Elle sentait à présent sa chaleur à travers leurs épais vêtements, elle voyait la lutte sur son visage pâle et contracté.

Qu’est-ce qui le troublait le plus ? Le physique avantageux qu’elle avait pris… ou la proximité de leurs deux corps ?

Décidée à saisir sa chance, la jeune femme resserra son étreinte et son cœur s’affola lorsque Remus leva enfin les mains vers elle. Mais il se contenta de se saisir fermement de ses poignets afin de se dégager.

- Tu fais fausse route… Tu n'es pas en cause.

Il avait dit ces mots avec tant de douceur et de sincérité qu’elle ne put se sentir vexée par ce refus. Quelles que fussent ses raisons, elles n’avaient rien à voir avec elle et Tonks jugea préférable de lui laisser un peu de répit. Mais elle finirait par avoir le dernier mot… et son invitation !

- C'est bon, je comprends… acquiesça-t-elle, tentant de retrouver un rythme cardiaque à peu près acceptable.

Remus prit le temps d’observer son visage, certainement afin de s’assurer qu’il n’y avait aucun malentendu puis lui sourit enfin, soulagé.

- Rentrons.

Sortant de la petite ruelle, ils remontèrent lentement l'Allée des Embrumes et parvinrent bientôt sur le Chemin de traverse.

- Je te retrouve chez Sirius, j'ai une course à faire, expliqua Lupin.
- D'accord. Ce fut un plaisir de bavarder avec toi… Et la prochaine fois, emmène ton agenda, lâcha-t-elle tout sourire.

Elle eut juste le temps de voir les épaules de Remus s’affaisser d’exaspération avant de transplaner. Que croyait-il ? Qu’elle allait abandonner si vite ? C’était très mal la connaître !

*****************************************

La réunion avait commencé depuis quelques minutes déjà et l’absence de Tonks commençait à inquiéter Remus. Il avait jugé préférable de s’éloigner de la jeune femme après leur tête à tête dans l’Allée des Embrumes et s’était donc attendu à arriver le dernier chez Sirius. Or, elle n’était toujours pas là.

Ce n’était pourtant pas inhabituel. Nymphadora n’était pas réputée pour sa ponctualité et la réunion avait donc commencé sans tenir compte de son absence. Lupin n’écouta que d’une oreille le rapport d’Arthur Weasley et son regard fit le tour de la table. Sirius était affalé sur sa chaise, la mine aussi sombre que de coutume et Remus se sentit désolé pour lui. Plus que n’importe qui ici, il savait combien l’inactivité et le confinement pouvait coûter à son ami. Pour couronner le tout, Severus Rogue ne cessait de lancer des regards dédaigneux de son côté et il voyait le visage de Sirius se crisper à mesure que la réunion avançait.

Arthur Weasley finit par laisser sa place à Minerva McGonagall qui exposa succinctement à Dumbledore les résultats de ses quelques recherches, et Remus jeta un bref coup d’œil à la porte toujours fermée de la cuisine du 12 Square Grimmaurd.

Il avait du mal à se concentrer aujourd’hui. Il avait du mal à sortir de son esprit ce qui s’était passé près d’une heure et demie auparavant.

Jusqu’ici, il n’avait eu que quelques doutes sur l’intérêt que lui portait Tonks. Certes, elle le trouvait séduisant mais jamais il n’aurait pu imaginer qu’elle tenterait un rapprochement.

Un rapprochement…

L’espace d’un instant, il revit son visage à quelques centimètres de lui, il ressentit la chaleur de son corps contre le sien et ses joues se colorèrent malgré lui.

Il devait reconnaître, non sans agacement, que seul l’aspect physique qu’elle avait revêtu, lui avait permis de garder son sang froid. Il avait juste dû faire abstraction de son parfum et détourné les yeux de son visage familier. L’archétype de la blonde pulpeuse et sans caractère avait fait le reste.

Mais que se serait-il passé si elle s’était jetée dans ses bras sans artifices ? Il revivait avec une certaine honte sa passivité et avait béni son flegme naturel qui lui avait fait garder un calme relatif. Hélas, Tonks semblait décidée à renouveler ses avances et il ne se sentait absolument pas près à revivre ce qui s’était passé aujourd’hui même. Il devait par tous les moyens empêcher une telle intimité.

Après tout, elle ne savait rien de lui. Elle ne connaissait que ce qu’il avait accepté de lui montrer. Peu de chose, au final. Cependant, en y réfléchissant, lui révéler son secret aurait été le meilleur moyen pour lui de la tenir éloignée de sa vie. Et pourtant…

Il ne voulait pas qu’elle sache.

Remus soupira.

Il se sentait méprisable. Et partagé. Sa raison ne voulait pas de Nymphadora mais le reste…

Il se souvenait encore de la douleur, de la terreur ressentie lorsqu’il avait cru son secret découvert.

« Quoi ? Tu préfères poilus ? »

Cette phrase ridicule l’avait mis dans un état indescriptible. L’idée de la savoir au fait de sa nature hybride l’avait rendu malade. Alors non.

Il ne voulait pas qu’elle sache.

Un coup de coude discret de son voisin de droite le tira de ses pensées et Remus redressa la tête. Sirius l’observait avec perplexité et Lupin réalisa que la réunion était déjà terminée en voyant Dumbledore, Arthur et Minerva discuter tranquillement à l’autre bout de la table.

- Ca va ? demanda Black.
- Oui. Désolé, je suis un peu fatigué.
- La pleine lune est dans combien de temps, déjà ?
- Dans un peu plus de deux semaines.
- En parlant de tes problèmes de poils, intervint Severus d’une voix emplie de dérision, j’ai quelque chose pour toi.

Il fouilla dans la poche de sa robe et en sortit une petite fiole.

- J’espère que tu apprécies à sa juste valeur le temps que je passe à préparer cette potion… étonnamment efficace d’ailleurs, tu ne trouves pas, Lupin ?
- Laisse-le tranquille, grommela Sirius avant que Remus ait eu le temps de répondre.
- Qui mieux que notre Monsieur-crocs-acérés pourrait attester de son efficacité ?

Lupin connaissait suffisamment Rogue pour savoir que le silence était finalement la meilleure arme face à ses sarcasmes… mais c’était sans compter la loyauté de Sirius qui partait en guerre dès qu’on s’attaquait à un ami.

- Ne recommence pas, répliqua-t-il sèchement, la mâchoire crispée.
- Quoi ? Tu devrais m’être reconnaissant, Black ! Depuis le temps que j’aide ton acolyte…

On aurait pu croire à un jeu, s’il n’était de notoriété publique que Rogue et Sirius se haïssaient plus que tout. Chaque mois, cette scène semblait se répéter et chaque mois, les deux hommes en venaient presque aux mains. Remus se contentait de les écouter, sachant parfaitement qu’intervenir ne servirait à rien, hormis rendre plus incisives les remarques de Severus.

Pourtant, ce soir, Lupin sentit son corps se raidir sur sa chaise. Un bruit venait de se faire entendre dans le hall d’entrée du 12 Square Grimmaurd. Un bruit suivi d’un juron étouffé puis de :

- VERMINE, MISERABLE SANG-MELE ! COMMENT OSES-TU PENETRER DANS LA DEMEURE DES BLACK ! VA-T-EN, GUEUSE ! IMPERTINENTE! MALAPPRISE !

Remus blêmit. Tonks venait d’arriver mais, indifférent aux hurlements de Mrs Black, Rogue poursuivait d’une voix pleine d’ironie :

- Après tout… il n'est qu'à un poil de devenir un assassin.
- Tais-toi maintenant ! cracha Sirius, parfaitement conscient qu’à tout instant la jeune femme pouvait entrer dans la cuisine et surprendre leur conversation.

Mais loin de l’arrêter, cette perspective sembla amuser Rogue et un sourire cruel étira bientôt ses lèvres pâles.

- Sans moi, il se cacherait dans les bois et hurlerait à la lune, attendant la venue du premier innocent pour y planter ses crocs ! railla-t-il.
- Ferme-la ! rugit Sirius, plongeant la main dans la poche de sa robe, à la recherche de sa baguette.

Remus se leva aussitôt et s’interposa entre les deux hommes. Le regard haineux de son ami n’annonçait rien de bon et Lupin voulait à tout pris mettre un terme à tout cela avant l’arrivée de Tonks. La voix colérique de Mrs Black continuait d’insulter la jeune femme qui tentait de la faire taire en rouspétant plus fort encore.

- STUPEFIX ! ... RAAAAH, VIEILLE FOLLE ! ARRETE DE TE CACHER ! STUPEFIX !
- COMMENT OSES-TU ? COMMENT OSES-TU ATTAQUER LA MAITRESSE DE CETTE MAISON ! SORS D’ICI TOUT DE SUITE ! POUILLEUSE ! MAUDITE !

La main tremblante, Remus se saisit de la fiole que tenait toujours fermement Rogue.

- Merci Severus, dit-il le plus posément possible, attendant que celui-ci relâche la pression de ses doigts autour de la petite bouteille.

Mais Rogue avait dû sentir sa peur car ses yeux noirs se firent perçants.

- Je me suis toujours demandé ce que ceux de ton espèce préféraient…

Un silence dramatique régnait à présent dans le couloir et Remus sentit une sueur froide glisser lentement le long de sa colonne vertébrale. Sirius s’était également levé, sa baguette dirigée vers Rogue.

- … Les adultes ou les jeunes enfants à la chair tendre ? susurra ce dernier distinctement.
- Severus !

La voix sèche et implacable de Dumbledore claqua dans le silence et un grincement léger appris à Remus que la porte de la cuisine venait de s’ouvrir. Les doigts de Rogue se relâchèrent et Lupin récupéra vivement la petite fiole qu’il fit disparaître dans l’une des poches de son pantalon. Il eut juste le temps de se détourner avant que Tonks ne franchisse le seuil de la porte.

Dans un état second, Remus s’éloigna de l’entrée, mettant le plus de distance possible entre la jeune femme et lui. Il ignorait ce qu'elle avait entendu mais dans le doute, il se sentait incapable de lui faire face. L’idée de lire dans son regard au mieux de la pitié, au pire du dégoût le terrifiait. Cherchant à retrouver un semblant de sang froid, il tenta de discipliner sa respiration pour le moins anarchique mais la peur d'avoir été découvert lui vrillait l'estomac. Le court moment de silence qui précéda l'arrivée de la jeune femme lui parut durer une éternité. Et contre toute attente, ce fut la voix de Sirius qui s'éleva.

- Tonks ! Tu t'es souvenue qu'on avait une réunion ? lança-t-il.
- J'ai été retenue, désolée.
- Minerva vous fera un compte rendu. Je mangerai bien un petit quelque chose, ajouta Dumbledore à l'attention de Molly.

Celle-ci se leva prestement et Nymphadora fut enjointe à s’asseoir aux côté de McGonagall. Sans perdre un instant, Minerva entreprit de lui exposer les dernières nouvelles, lui ôtant ainsi toute possibilité de s'enquérir, dans l'immédiat, de ce qui venait de se passer avec Rogue.

L'ambiance, pourtant à couper au couteau à son arrivée, se réchauffa un peu et les discussions reprirent entre les membres de l'Ordre. Seul Remus restait à l'écart. Les mains dans les poches, le dos vouté, il semblait ployer sous un poids immense et Tonks se demanda jusqu’à quel point il avait pris part à l'altercation avec Rogue. Pourtant, Lupin était plus connu pour son caractère flegmatique qu’emporté et elle l’imaginait très mal entrer en conflit sciemment.

Or, si la voix de Dumbledore lui était parvenue clairement lorsqu'il avait remis Severus en place, il n'en allait pas de même pour Rogue. Son ton lui avait semblé sarcastique mais, à travers la porte fermée de la cuisine, elle n’avait pu saisir avec exactitude ses propos.

Pendant toute la durée du compte rendu, Tonks jeta de fréquents coups d’œil vers Remus, cherchant à capter son regard, mais il restait obstinément détourné. Au bout de quelques minutes, cependant, Sirius l’interpela et il rejoignit sa place autour de la table. Lorsque McGonagall termina enfin son rapport — rapport que Tonks n’avait écouté qu’en partie - Minerva se leva et rejoignit Dumbledore pour mettre au point les derniers préparatifs de la prochaine mission.

La jeune femme se retrouva donc seule et observa ses compagnons. Placés en bout de table, Sirius discutait à voix basse avec Remus, plus pâle que jamais. Les traits tirés, il paraissait nerveux et Tonks crut remarquer qu'il évitait de croiser son regard.

L'impression qu'il s'était passé, juste avant son arrivée, quelque chose d'important et qu'on la laissait délibérément à l'écart s'intensifia.

Dumbledore n'avait pas l'habitude de hausser la voix et encore moins contre un membre de l'Ordre. Le ton sec et sans appel qu'il avait employé l'avait surprise. Il fallait vraiment que Rogue ait dépassé les bornes. Qu'avait-il dit ou fait pour susciter la réaction de Dumbledore ? Pourquoi Sirius était en colère? Pour quelle raison Lupin était si… nerveux… inquiet ?

L’intuition que Remus était directement concerné lui vint naturellement à l’esprit. Ce n’était pas la première fois qu’elle sentait qu’on lui cachait quelque chose. Un secret semblait planer autour de lui. Ses absences parfois inexpliquées n’étaient guère surprenantes compte tenu des circonstances. Dumbledore gardait le silence concernant certaines missions et personne n’avait rien à y redire. En revanche, il était plus que suspect de voir Sirius et Molly se contredire.

« Lunard surveille les Malefoy. »
« Remus est parti faire une course pour Dumbledore. Il ne reviendra pas avant demain. »

Tonks ignorait qu’il avait le don d’ubiquité !

A SUIVRE...