LUNARD

 

Chapitre 10


Contre toute attente, Nymphadora n’aborda plus l’objet de leur discorde et seule une froideur contre-nature prouvait à Remus qu’elle n’avait pas oublié. Elle agissait comme lui. Distante en public, chaleureuse dans l’enceinte de son appartement.

Elle semblait parfois si bien s’accommoder de la situation que Lupin la croyait presque sincère… mais sa raison le ramenait très vite à la réalité. Tonks était une femme entière. Il n’était pas dans sa nature de se brider.

Et en effet, un certain malaise vint peu à peu s’immiscer dans leur relation. Auparavant, tous deux parvenaient à laisser hors de l’appartement de Tonks tout sentiment proche de la frustration, de l’amertume ou de la colère. Mais depuis quelques temps, il leur fallait bien plusieurs minutes avant de pouvoir se détendre et discuter avec la même légèreté qu’avant. Leurs premiers échanges étaient froids, parfois guindés, et ce malgré une envie irrésistible d’aller vers l’autre.

Et l’arrivée de Colin Wilkes au sein de l’Ordre du Phénix n’arrangea guère la situation.

Bien évidemment, Remus n’avait strictement rien à reprocher au jeune homme. Comme chaque membre actif de l’Ordre, il avait participé à la filature de l’Auror afin de s’assurer de son honnêteté et avait fini par approuver son adhésion. Mais sous la pression de Fol Œil, cette surveillance avait duré près de deux mois et Lupin avait dû supporter de loin les innombrables et hasardeuses rencontres de Colin et de Nymphadora.

Alors bien sûr, s’il gardait ses distances vis-à-vis de Tonks c’était justement afin de permettre à la jeune femme de rencontrer un homme qui lui conviendrait mieux. Mais en dépit de cela… il ne pouvait s’empêcher de crever de peur à chaque fois qu’il la voyait avec Colin. Il était terrifié à l’idée de voir Nymphadora le quitter.

Aussi, malgré ses bonnes intentions, il ne put accueillir Wilkes autrement qu’avec une certaine animosité. A l’instar de Sirius, il ne se leva pas lorsque le jeune homme fit son apparition dans la cuisine du 12 Square Grimmaurd, escorté par une Nymphadora rayonnante.

Fol Œil était également présent et émit un grognement hostile. Malgré ces deux mois de surveillance, l’ancien Auror n’était toujours pas enclin à accueillir un Wilkes au sein de l’Ordre.

- Salut tout le monde ! claironna Tonks à l’assemblée. Je vous présente Colin que vous connaissez déjà tous de vue !

- Sauf moi, maugréa Sirius, le seul à ne pas avoir participé à la surveillance du jeune homme.

- Exact ! approuva aussitôt Nymphadora avec une grimace d’excuse à l’attention de son cousin.

Elle posa une main sur le bras de Colin et d’un sourire l’incita à faire le tour de la table. Hélas, le premier à devoir saluer le nouvel arrivant n’était autre que Maugrey Fol Œil et le « Mouais » bourru que lança celui-ci en réponse au bonjour jovial de Wilkes fit soupirer Tonks d’exaspération.

- Alastor ! s’insurgea la jeune femme.

Mais Colin ne la laissa pas poursuivre.

- Ecoutez, intervint-il, la mine contrite. Je sais que ma famille est très loin d’être recommandable…

- Pas recommandable ? Ce sont des Mangemorts, le coupa Fol Œil.

- Mes parents n’en étaient pas. Et ma sœur non plus.

- Mmmffff, renifla Maugrey pour seule réponse.

Tonks soupira.

- T’inquiète ! lança-t-elle en guidant Colin vers Sirius. Je ne suis pas très fière de ma famille non plus. Pour tout te dire, je n’ai qu’un seul cousin que je peux présenter sans avoir honte.

Remus vit la jeune femme s’arrêter juste derrière Patmol, enrouler les bras autour de son cou et se pencher à son oreille. Elle chuchota alors:

- Si tu n’es pas gentil avec Colin, tu vas regretter de m’avoir connue, parole de Black…

Un sourire détendit les lèvres de Sirius qui consentit enfin à se lever.

- Content de te rencontrer, salua-t-il en tendant une main chaleureuse vers le jeune homme.

Celui-ci s’empressa de la serrer.

- Et moi donc ! s’exclama Wilkes avec une énergie qui n’était pas sans rappeler Nymphadora. Quand Tonks m’a dit que vous faisiez parti de l’Ordre… que vous étiez innocent… J’ai eu du mal à l’admettre, je l’avoue !

- Je sais… Pendant longtemps, la seule personne à croire en mon innocence était Pettigrow, lança Black avec une pointe de sarcasme.

Remus sentit un profond et familier sentiment de culpabilité le saisir. Un silence embarrassant s’était fait autour de la table que Tonks vint rapidement rompre :

- Enfin, avoue qu’avec ta tête, c’était dur de te croire innocent ! le taquina-t-elle.

- Qu’est-ce qu’elle a ma tête ? releva aussitôt Sirius en tournant un regard faussement mauvais vers sa cousine.

- Rien… Rien, enfin…

Hésitante, la jeune femme ôta un grain de poussière imaginaire de la manche de son pull et un rictus étira les lèvres de Patmol.

- Vas-y ! grinça-t-il. Continue ! Ne t’arrête pas en si bon chemin !

- Disons qu’on aurait tendance à transplaner rapidement si on te croisait dans une ruelle mal éclairée, finit par lâcher Tonks, tout sourire.

- Ben ça, on sait tous que c’est pas prêt d’arriver ! maugréa-t-il, son humeur soudainement assombrie.

Nymphadora dut le sentir car elle répondit vivement :

- Ne change pas de sujet ! On parlait de ta tête !

- Elle est très bien ! Et en plus, virile à souhait ! Que demander d’autre ?

- Oh mais plein de choses ! Tu veux que je te fasse une liste ?

- Et toi, tu veux bien m’oublier trente secondes ? Tu commence à me…

- Euh… intervint Colin, ne sachant apparemment plus s’ils plaisantaient ou non. Mais maintenant, vous avez un rôle important dans l’Ordre, non ?

- Primordial, vous voulez dire, répondit fièrement Black en se rasseyant. Je suis la femme de ménage.

Le regard perplexe de Wilkes se tourna vers Tonks, qui faisait apparemment un effort surhumain pour ne pas rire. Mais lorsque les yeux rieurs de la jeune femme croisèrent ceux glacials de son cousin, Nymphadora grimaça aussitôt un nouveau sourire d’excuse.

Se raclant machinalement la gorge, elle se tourna ensuite vers un Remus silencieux qui suivait cette petite scène, légèrement en retrait. Depuis quelques minutes déjà, il cherchait à s’imposer une amabilité forcée mais lorsqu’il vit la main de Tonks se poser chaleureusement sur l’épaule de Colin, ses efforts volèrent en éclat.

- Tu te souviens de Remus ? dit la jeune femme à son ami.

- Bien sûr, répondit aussitôt Wilkes. Vous allez bien ?

Lupin serra brièvement la main tendue de Colin et acquiesça en émettant un « Bien, merci. » à peine perceptible.

- … On m’a dit que vous étiez très occupé en ce moment, tenta le jeune homme, malgré la mine sombre de son interlocuteur.

- Comme tout le monde ici, parvint à articuler distinctement ce dernier, cette fois-ci.

Mais, préférant se soustraire au regard scrutateur de Nymphadora qui pesait lourdement sur lui, Remus hocha hâtivement la tête et s’éloigna.

- Euh Tonks…, intervint aussitôt Sirius. Tu ne lui fais pas la morale, à lui ? Parce que dans le genre « accueillant », je viens de trouver mon maître.

Lupin, qui s’apprêtait à se servir un peu de vin, leva les yeux au ciel en maudissant les indiscrétions de son meilleur ami… Mais il tendit l’oreille.

- Il est assez grand pour décider de son attitude, répondit sobrement la jeune femme.

Remus leva les yeux vers elle et croisa un bref instant son regard glacé.

- … Et il n’a pas besoin de mes conseils, rajouta-t-elle avant de se détourner.

Pâle, Lupin reporta son attention sur le pichet de vin posé devant lui et s’en saisit d’une main tremblante.

Sirius, quant à lui, haussa les sourcils et se leva de nouveau de sa chaise.

- Bon… Ben moi, je vais activer la cheminée. La température vient de chuter, non ? lâcha-t-il avec une pointe de sarcasme.

Et, jetant un regard entendu à Colin, il s’éloigna en direction de l’âtre. Lorsque Remus posa son verre vide sur la table et jeta un coup d’œil sur le jeune couple, il sentit son cœur se serrer en les voyant échanger quelques phrases avec un air de conspirateurs. Il y avait une telle complicité, une telle aisance dans leurs manières de se toucher, de se sourire…

Lui aussi aurait pu avoir cela. Il aurait pu être cet homme à qui Tonks chuchotait à l’oreille. Il aurait pu être l’épaule sur laquelle elle se serait affalée lors d’une de ses spectaculaires crises de fou rire.

Mais non. Il était celui à qui elle ne parlait pas. Celui à qui elle ne souriait jamais.

En public.

Le ventre de Remus se crispa d’envie. Peut-être lui demanderait-elle de venir dans son appartement ce soir. Peut-être voudrait-elle de lui malgré la présence de Colin à Londres.

L’arrivée de Dumbledore mit fin à ses pensées et quelques minutes plus tard, un silence respectueux se fit sous la demande du Directeur de Poudlard.

- Tout d’abord, je souhaite à mon tour la bienvenue à Colin. Je suis certain que sa présence sera un grand atout pour l’Ordre, dit-il en inclinant la tête vers le jeune Auror, un sourire enthousiaste sur les lèvres. Il va nous permettre, notamment, de garder un œil sur le Ministère écossais qui travaille en étroite collaboration avec celui de Cornelius.

Wilkes renvoya un sourire tout aussi chaleureux à Dumbledore et Remus se détourna.

- Mais de mon côté, j’ai également une nouvelle…

Le vieux sorcier s’interrompit un instant puis reprit sur un ton tout aussi léger :

- … une nouvelle disons « prévisible » à vous apprendre. J’ai été relevé de mes fonctions. Je ne suis plus le directeur de Poudlard.

Après un silence stupéfait, des exclamations outrées se firent bientôt entendre autour de la table de réunion, mais Dumbledore leva les mains afin d’atténuer le brouhaha et peu à peu, le calme revint.

- Comme je le disais, c’est une chose à laquelle je m’attendais depuis le début, mais comme j’ai refusé de me livrer aux autorités, me voici à présent hors-la-loi, dit-il avec une pointe d’humour dans la voix.

A ces mots, Sirius fut le premier à réagir :

- Bienvenu dans mon monde… Qu’allez-vous faire, maintenant ? Restez sagement ici ? demanda-t-il d’un ton plein d’ironie.

Un sourire patient apparut sur les lèvres du vieux sorcier.

- J’ai deux ou trois choses à faire.

- Ben voyons, railla Sirius, s’attendant parfaitement à une telle réponse. Alors vous, vous avez le droit de vous balader un peu partout… et moi, j’ai juste le droit de me terrer ici !

Sa voix s’était durcie sur ces derniers mots et son regard acier fixait avec une colère froide le visage serein de Dumbledore. Le silence autour de la table était total.

- Je suis désolé, Sirius, répondit simplement Albus.

- … Moi aussi !

Sirius se leva si brusquement que la lourde table vacilla sous le choc. Remus aurait juré que Patmol allait quitter la pièce mais celui-ci se contenta de rejoindre d’un pas furieux l’un des placards de la cuisine, à la recherche d’une bouteille de vin. Apparemment, sa curiosité semblait plus forte que sa colère car quelques minutes plus tard, il se rassit à sa place et entreprit de vider son verre en écoutant attentivement les événements qui avaient provoqué le renvoi de Dumbledore.

La réunion dura une petite heure puis peu à peu les membres de l’Ordre se séparèrent. Il ne resta bientôt plus que les deux maraudeurs d’un côté de la cuisine et Tonks et Colin de l’autre.

Depuis l’arrivée de Dumbledore, Remus avait tenté de chasser de son esprit la présence de Colin et la froideur de Tonks mais la situation ne l’aidait guère. Il rejoignit donc Sirius et s’appuya contre la table à ses côtés. Affalé sur sa chaise, Patmol fixait son verre à moitié vide d’un œil mauvais, ignorant délibérément sa présence et Remus émit un soupir exagéré. Il prit la bouteille déjà bien entamé et l’éloigna de son ami.

- Je te conseille de la reposer immédiatement là où tu l’as prise, grommela Sirius.

- Ou bien quoi ? s’enquit tranquillement Lupin.

- Ou bien tu pourrais le regretter.

- Me voilà pétrifié de terreur.

Sirius le fixa de son regard le plus dur.

- Tu devrais, je ne suis vraiment pas d’humeur.

- Ah bon ? Je n’avais pas remarqué, railla Remus avec douceur.

Un mouvement attira son regard vers l’autre extrémité de la cuisine. Tonks et Colin se dirigeaient vers eux et la jeune femme intervint en le dévisageant :

- C’est tout toi, ça ! Ne pas voir ce qui saute aux yeux.

Lupin cilla.

- Je ne vois pas de quoi…

- C’est bien ce que je disais, conclut Tonks en passant à leur hauteur.

Remus croisa un bref instant le regard embarrassé de Colin qui ne savait certainement pas pourquoi l’ambiance était devenue soudain si glacée, mais le maraudeur se détourna. C’était suffisamment mortifiant de voir Nymphadora se comporter si froidement à son égard.

- Donne-moi cette bouteille, Lunard, le rappela à la réalité Patmol.

- Tu crois vraiment que c’est la solution à tes problèmes ? demanda Remus, suivant du coin de l’œil le jeune couple.

- Non, mais je prends le réconfort là où je le trouve.

Tonks ouvrit la porte de la cuisine, laissa sortir Colin en premier pour se tourna vers son cousin.

- Il faut vraiment que tu te trouves une petite amie, Sirius. Ça te ferait du bien.

Lupin grimaça.

- Nymphadora…

C’était très maladroit de la part de la jeune femme. Certes, Sirius acceptait de se faire taquiner sur beaucoup de choses mais celle-ci était taboue.

Tonks dut le comprendre car ses joues se colorèrent, prise en faute. Elle leva cependant les yeux vers Remus.

- Je t’ai déjà dit de ne plus m’appeler comme ça, dit-elle avant de sortir.

Lupin blêmit.

La dernière fois qu’elle lui avait fait cette remarque, ils n’étaient plus ensemble.

Cela faisait maintenant quatre jours qu’ils ne s’étaient plus revus seul à seule et d’ordinaire, la jeune femme n’attendait pas si longtemps avant de l’inviter de nouveau chez elle. Mais son comportement vis-à-vis de lui avait changé : elle n’était plus seulement froide et indifférente mais agressive. Et il n’y avait qu’une raison à cela.

Elle n’était pas bien.

Elle n’était pas bien avec lui.

Le regard morne de Remus se posa sur la chaise que la jeune femme avait occupée quelques minutes plus tôt et accrocha un foulard multicolore qu’elle avait oublié.

- Lunard… gronda Sirius pour la énième fois.

Dans un soupir las, Remus reporta son attention sur son ami et posa devant celui-ci la bouteille tant désirée. Il ne savait plus quoi faire pour l’aider. Il ne savait plus quoi dire.

Il se sentait impuissant.

Patmol, Nymphadora. Nymphadora, Patmol.

Quel piètre ami, il était. Quel misérable amant il faisait. Il n’était pas fichu de rendre heureux les personnes qui avaient le plus d’importance pour lui. Il estimait pourtant ses choix réfléchis et raisonnables. Il ne ménageait pas ses efforts. Alors pourquoi n’était-ce jamais suffisant ?

- Arrête de faire cette tête-là, marmonna brusquement Sirius, son regard levé vers lui. Ça passera. Laisse-moi juste un peu de temps.

- Je ne sais plus quoi faire, répondit Lupin en passant une main lasse sur son visage fatigué.

- Peut-être parce qu’il n’y a rien à faire. Alors laisse tomber.

Remus lui jeta un coup d’œil en biais et Patmol esquissa un faible sourire.

- Je sais… C’est dans ta nature de vouloir aider. Mais franchement, Lunard… pourquoi tu ne penserais pas plutôt à toi ?

Lupin soupira de nouveau.

Penser à lui ? Il ne le pouvait pas. Les gens l’aimaient parce qu’il était altruiste, parce qu’il était généreux. Si jamais il choisissait de faire passer ses désirs avant ceux des autres, il perdrait tout.

Non, il ne le pouvait pas.

Certes, il n’y avait rien à faire pour Sirius, mais il pouvait encore agir pour Tonks. Son agressivité dénotait un malaise évident. Elle n’était pas bien avec lui. Il fallait que cela cesse.

Son estomac se contracta douloureusement.

Il fallait que cela cesse… mais que la décision vienne d’elle car il ne pouvait pas la quitter. Jamais il n’y parviendrait.

Comme un automate, il se redressa et rejoignit la chaise sur laquelle pendait le foulard de Tonks. Il le prit dans ses mains tremblantes et dût faire un effort surhumain pour ne pas respirer avidement le parfum sucré que recelait le tissu léger aux multiples couleurs.

- Et à part ça, elle ne te plait toujours pas ? demanda Sirius, un sourire sceptique sur les lèvres.

Remus redressa la tête et se contraignit à revêtir un masque d’indifférence.

- Non.

- Dommage… déplora Patmol en se levant.

D’un coup de baguette magique, son verre alla de lui-même se poser dans l’évier mais la bouteille encore à moitié pleine resta à ses côtés.

- Je pense finalement qu’une fille comme Tonks te ferait le plus grand bien, finit-il en se dirigeant vers la sortie.

« Une femme » rectifia mentalement Remus en regardant la porte de la cuisine se refermer sur son ami. Tonks était une femme, pas une fille.

Et cela, il l’avait depuis longtemps compris.

 

*******************************

 

Pendant une bonne partie de la journée, Remus tenta d’amener Sirius à de meilleurs sentiments. Il avait choisi de remettre à plus tard les quelques recherches que Dumbledore lui avaient demandées de faire, jugeant la mélancolie grandissante de son ami beaucoup plus importante à traiter. Cela avait, en plus, l’avantage de reléguer au second plan la perspective d’un avenir sans Tonks et Lupin redoubla d’effort pour les divertir tous deux.

La nuit venait de tomber lorsque Remus se coucha pour la dernière fois.

- J’abandonne, grommela-t-il sous le regard pétillant de son ami.

Sirius tendit les mains et ramena à lui la montagne d’or qui s’empilait sur la table de jeu.

- Comme si tu n’étais pas assez riche, marmonna Lupin en s’adossant lourdement à son fauteuil.

- Si on jouait avec de l’argent réel, je te laisserais gagner.

- C’est bien pour ça qu’on ne le fait pas ! s’insurgea Remus sous le rire de Patmol.

- Tu démarres au quart de tour dès qu’on parle finance !

L’air ronchon, Lupin agita vigoureusement sa baguette en direction de la cheminée et les quelques cendres encore chaudes s’enflammèrent violemment.

- Eh ! Evite de mettre le feu au salon ! s’exclama Sirius avant de s’interrompre, pensif. Quoique non… C’est une bonne idée finalement ! Mettons le feu à cette vieille bicoque que j’en sois définitivement libéré !

- Imagine que le nouveau quartier général de l’Ordre soit pire que celui-là…

- Impossible ! ricana Patmol en faisant disparaître les cartes et les jetons d’un coup de baguette magique. Franchement ? Tu crois pouvoir trouver pire que cette maison ?

- C’est ton héritage, lança Remus sarcastique.

- Et quel héritage ! Il faudra un sacré courage à celle qui voudra partager ma vie dans ce musée des horreurs !

Un sourire détendit les lèvres de Lupin. C’était assez rare de voir Sirius parler de l’avenir.

- Ce sera un bon moyen de savoir si elle tient vraiment à toi, indiqua Remus en croisant les mains sur son ventre.

- Tu marques un point ! Mais encore faudrait-il que je trouve l’oiseau rare. Quoique pour le moment, je me contenterais de n’importe quel oiseau…

Remus esquissa un nouveau sourire mais son attention fut attirée par un léger mouvement sur sa gauche. Nymphadora était sur le seuil de la pièce, immobile et indécise, le foulard qu’elle était venue chercher dans ses mains. Lorsqu’elle croisa son regard, elle se détourna et fit mine de partir mais la voix de Sirius l’en empêcha.

- Tonks ! Tu tombes bien ! Toi qui me conseillais de me trouver une femme… tu n’aurais pas une amie à me présenter ?

Nymphadora sembla hésiter encore un peu puis finit par s’avancer vers l’un des fauteuils libres à côté de Sirius. Elle s’y affala en poussant un soupir exagéré.

- Je ne ferai jamais subir ça à une amie, mon cher cousin !

- Allons ! Tu as le devoir d’aider ta famille !

- Débrouille-toi ! Il doit bien exister à Londres quelques femmes prêtes à te rendre service !

Sentant venir une réponse cinglante de la part de Sirius, Remus se permit d’intervenir à sa place :

- Encore faudrait-il qu’il puisse sortir d’ici…

Patmol se contenta d’approuver d’un signe de la main mais Nymphadora insista :

- Tu sais qu’il y a des livraisons à domicile.

- Mais oui ! Je m’imagine bien demander à Dumbledore de m’écrire l’adresse du 12 Square Grimmaurd sur un morceau de papier afin d’inviter une parfaite inconnue ici, railla Sirius. Je suis sûre que ça le ferait beaucoup rire…

- Tu peux toujours essayer ! lâcha Tonks d’un air goguenard. Il a beaucoup d’humour !

Patmol renifla. Malgré un respect évident, la frustration et colère qu’il ressentait à l’égard de Dumbledore ne faisaient que croître jour après jour. Remus le sentait. Tout comme il sentait que ce n’était pas d’une nuit dont son ami avait véritablement envie… Il désirait plus. Beaucoup plus. Il aspirait à une relation plus sérieuse et enrichissante. A une relation qui le libèrerait d’une solitude qui lui faisait dorénavant horreur. Après tout, rien ne prédestinait Patmol à cet isolement forcé. Lui toujours si sociable, si populaire. Lui toujours si entouré.

- De toute façon, ce n’est pas de cela, dont tu as vraiment besoin, intervint Lupin en souriant doucement. N’est-ce pas ?

Sirius se tourna vers lui et son humeur sembla s’adoucir.

- C’est vrai, répondit-il en souriant à son tour. Enfin quelqu’un qui me comprend.

- Mais moi aussi, je te comprends ! s’insurgea Tonks en se redressant sur son fauteuil.

- Que connais-tu à la solitude, toi ?

Les mots avaient claqué plus durement qu’il ne l’aurait voulu et Remus regretta aussitôt de ne pas avoir su, à défaut de se taire, cacher l’amertume présente dans sa voix. Tonks posa sur lui un regard agité et il se détourna.

- Et encore un point pour Lunard ! lança Sirius. Moi, je suis reclus ici, lui doit se cacher plusieurs jours par mois… mais toi ? Tu peux te promener à ta guise et rencontrer qui tu veux.

La jeune femme mit quelques instants à répondre :

- On peut parfois se sentir seule, même en étant accompagnée.

Remus sentit son estomac se tordre et leva les yeux vers Tonks. Celle-ci observait les flammes danser dans l’âtre, et il put lire sur son visage figé une tristesse et une lassitude extrême.

Elle se sentait seule, avec lui.

- Ce n’est pas la même chose, indiqua Sirius, inconscient de la détresse dans laquelle ses deux compagnons se trouvaient. Crois bien que je préfèrerais me sentir seul avec une femme que seul avec moi-même. Pas toi, Lunard ? T’en penses quoi ?

- … Que je suis très bien comme je suis, parvint-il à articuler.

- Tu parles ! Tu deviens plus renfermé de jour en jour ! Faudrait te trouver une petite Louve-garou.

L’humour présent dans la voix de son ami ne pouvait cacher le sérieux sous-jacent de ses propos et il jeta un rapide coup d’œil vers Tonks. Celle-ci avait redressé la tête et semblait méditer.

Une terreur viscérale saisit brusquement Remus.

Depuis plusieurs semaines déjà, il ne savait plus très bien ce que ressentait la jeune femme à son égard. Mais si jamais elle l’aimait encore, jusqu’où était-elle prête à aller pour lui ?

- Hors de question, dit-il donc. Fonder une famille, avoir des enfants qu’on pourrait au mieux contaminer, au pire tuer… ? Ridicule.

- T’as pas tort… concéda Sirius. D’un autre côté, personne ne t’oblige à te trouver une Louve-Garou pour passer ta vie avec. Quelques nuits suffiraient.

Un sourire amusé étira les lèvres de Remus lorsqu’il croisa le regard faussement lubrique de son ami. Contrastant avec leurs mines détendues, Tonks était pâle comme un linge.

- Mais regardez-vous ! s’exclama-t-elle, avec un entrain forcé. Vous êtes désespérants !

- Non, frustrés, corrigea Sirius.

- Hum, parle pour toi, Patmol.

- Tu crois que tu as l’air serein ? Tu es aussi frustré que moi, mon vieux !

Mal à l’aise, Remus se détourna.

Certes, il était frustré, mais pas de ce point de vue là.

- Je pense, cher Sirius, que ton ami n’a pas envie que tu dévoiles sa vie… privée devant une dame, intervint Tonks.

- Qui parle de vie privée ? Je parle de désert, moi.

- Il n’empêche, tu sais bien que Remus est pudique.

Lupin sentit ses joues s’embraser. Il n’aimait pas du tout le tour que prenait la discussion.

- Vous pourriez arrêter de parler de moi comme si je n’étais pas là ?

- D’accord, mais reconnais au moins les faits… Tu es FRUSTRE, conclut Sirius. Et estime toi heureux, j’aurais pu employer un terme plus explicite.

- Tu sais qu’il n’y a pas que ça, dans la vie ? répondit Remus d’un air entendu.

- « Ça » quoi ? demanda son ami en feignant de ne pas comprendre.

Lupin leva les yeux au ciel, sentant le rouge de ses joues se faire plus vif.

- Je crois qu’il parle de… commença Tonks avant de se lever vivement et de chuchoter quelque chose à l’oreille de son cousin.

Remus sentit deux paires d’yeux moqueurs se poser sur lui et il soupira.

- Ah ! s’exclama brusquement Sirius, tandis que Nymphadora s’asseyait de nouveau dans son fauteuil. Il parle de sexe !

Lupin ferma les yeux.

- Je suis le premier à savoir « qu’il n’y a pas que ça dans la vie », poursuivit Patmol. Ça fait quinze ans que je me le répète tous les jours.

- Et cette méthode t’a aidé ? demanda Tonks d’une voix innocente.

- Pas vraiment.

- Pauvre cousin… Tu n’as pas trouvé d’alternative ?

- On pourrait changer de sujet ? intervint Remus, toujours aussi mal à l’aise.

- Allons, fais pas ton timoré ! C’est la vie ! Y a pas de mal de parler de « ça » entre adultes, railla Sirius, franchement amusé.

- Je ne vois pas ce que ça apporte.

Patmol se pencha vers lui.

- Ça m’aide à évacuer mon… stress. Tu devrais essayer.

- Regarde-le, Remus, renchérit Tonks en montrant son cousin. Il est presque aussi pâle que toi. C’est signe d’un stress évident chez les Black. Tu te dois d’aider ton ami, sinon il va devenir invivable.

Un sourire acide apparut sur les lèvres de Lupin. Ainsi donc, ils se mettaient à deux contre lui.

- Je crois qu’il est trop tard pour ça, railla-t-il, préférant de loin s’en prendre au Maraudeur plutôt qu’à Tonks.

- Lunard, répliqua aussitôt Sirius, sois gentil. Explique-moi comment tu fais pour que ça ne te monte pas au cerveau ?

Mauvaise idée de s’en prendre à Patmol.

- Excellente question ! renchérit Nymphadora, tout sourire. Dévoile-nous ton secret, Remus.

Celui-ci croisa le regard sarcastique de la jeune femme, tandis qu’elle le mettait clairement au défit de révéler à Sirius l’existence de leur relation.

- Je… euh… Je n’ai rien à dire là-dessus, bafouilla-t-il, très pâle.

- T’es vraiment pas drôle, Lunard !

- Je confirme ! approuva Tonks avec une ironie virulente.

Remus sentit le peu d’entrain qui lui restait fondre comme neige au soleil sous le regard réfrigérant de la jeune femme. Sirius dut sentir son désarroi car il se tourna vers sa cousine.

- Mais dis-moi ! Tu te paies notre tête depuis tout à l’heure… Et si on parlait de toi, maintenant ?

Tonks haussa les sourcils.

- Moi ? Je suis pleinement satisfaite ! lança-t-elle avec une assurance qui redonna quelques couleurs à Lupin.

Mais à peine levait-il les yeux vers la jeune femme que celle-ci s’extirpait de son fauteuil en jetant un regard catastrophé à l’horloge du salon.

- D’ailleurs, Colin doit m’attendre chez moi… Si vous voulez bien m’excuser !

Un uppercut en plein estomac aurait été moins douloureux. Blême, Lupin se tourna vivement vers Tonks et la suivit du regard tandis qu’elle sortait tranquillement du salon. Il n’arrivait plus à respirer. Il n’arrivait plus à penser.

Ce qu’il redoutait plus que tout venait d’arriver et elle le lui annonçait la bouche en cœur. Sans aucune pudeur.

Elle venait de le remplacer.

- Pppfff ! soupira Sirius en s’affalant un peu plus dans son fauteuil. Et elle prétend nous comprendre ! Mademoiselle va passer la nuit à s’amuser pendant que nous, nous ferons la liste de nos anciennes conquêtes.

« Mademoiselle va passer la nuit à s’amuser… »

Des images vinrent s’insinuer dans son esprit. Des images qui lui donnèrent la nausée.

Les mains crispées aux accoudoirs de son fauteuil, Remus entreprit de retrouver son souffle, de faire taire la plainte qu’il sentait monter de ses entrailles. Il avait mal. Jamais il n’avait eu aussi mal de toute sa vie.

Pourtant, c’était pour cela qu’il s’était contraint à garder la jeune femme à distance. C’était pour cela qu’il s’était bridé sans cesse. Il avait toujours su qu’un jour tout prendrait fin, qu’elle partirait. Et c’était mieux pour elle. C’était forcément mieux pour elle.

 

********************************

 

Tonks referma violemment la porte d’entrée et laissa tomber sa cape sur le sol sans y prêter davantage attention. Elle s’engouffra dans sa chambre, ôta ses vêtements d’une main fébrile puis pénétra dans la douche.

Un jet d’eau brûlant se déversa bientôt sur ses épaules tendues et elle ferma les yeux.

Une colère étouffante, démesurée l’étreignait et elle ne parvenait plus à la maitriser.

Elle le haïssait. Elle le haïssait comme jamais elle n’avait haï. Elle haïssait sa froideur, son flegme qui l’avait rendu si attirant. Elle haïssait son regard si indifférent lorsqu’il se posait sur elle, le calme parfait lorsqu’il prononçait son prénom. Mais elle haïssait par-dessus tout la facilité avec laquelle il était « Lui », alors qu’elle luttait sans cesse pour se contraindre à un comportement similaire.

Elle n’était pas froide. Elle n’était pas flegmatique. Et elle était tout sauf indifférente et calme devant lui.

Ses efforts pour prétendre le contraire étaient inutiles. Elle avait échoué.

De ses mains tremblantes, Tonks frotta durement son visage afin de faire disparaître les larmes qui se mêlaient à l’eau ruisselante. Elle pleurait, encore. Elle pleurait tous les soirs depuis quelques semaines, même lorsqu’il était là, endormi à ses côtés. Elle pleurait car elle ne voyait pas d’issue.

Etre elle-même la faisait souffrir. Prétendre être quelqu’un d’autre le faisait tout autant. Alors il lui fallait se rendre à l’évidence. Le problème ne venait pas d’elle, mais bien de lui. Elle avait tout fait, tout pour faciliter les choses, pour rendre supportable la situation. Mais rien ne marchait. Rien.

Elle en était même réduite à jouer la carte de la jalousie pour le faire réagir. Une attitude qu’elle avait toujours jugée avec dédain.

Non, ce n’était pas elle. Ce n’était vraiment pas elle, tout cela.

De légers sanglots agitèrent ses épaules qu’elle tenta courageusement se réfréner. De son poing, elle frappa la faïence et inspira vivement afin d’étouffer la douleur qui irradiait dans sa poitrine.

Elle le haïssait de lui faire subir tout cela. Elle le haïssait de l’obliger à devenir cette femme si faible, si dépendante. Cette femme capable de stratagèmes obscurs. Combien de temps accepterait-elle de jouer ce rôle ? Combien de temps arriverait-elle encore à se supporter ?

Mais tandis que la douleur devenait insupportable, la solution lui apparut soudain. Une solution qu’elle s’était jusqu’ici toujours refusée à envisager.

Elle devait le quitter. Elle devait absolument le fuir.

Elle devait renoncer à Remus Lupin.

 

 

 

A SUIVRE...