LUNARD

 

Chapitre 11


Songer à quitter une personne et passer à l’acte n’étaient bien évidemment pas pareil mais le comportement de Remus facilita les choses. Tonks espérait le faire réagir en rendant ambigüe sa relation avec Colin mais elle dut très vite déchanter. Le lendemain matin, lors de la réunion journalière, Lupin se montra des plus aimables avec le jeune homme.

Nymphadora ne sut dire ce qui fut le plus douloureux. Ce manque total de jalousie ou la désagréable impression qu’elle s’était méprise depuis le début. Remus Lupin ne l’avait jamais vraiment aimée. Il n’avait jamais eu de sentiments particuliers pour elle.

Dans un souci de réconfort, elle tenta pourtant de se remémorer leur dernière rencontre dans son appartement, mais ils avaient peu parlé, ce soir-là. Et à bien y réfléchir, ils parlaient de moins en moins depuis quelques temps. C’était comme s’ils ne trouvaient plus le courage de faire semblant. Comme s’ils n’arrivaient plus à mettre de côté le malaise que leur pseudo relation engendrait.

Pourtant… Paradoxalement à cela, ils faisaient l’amour. Toujours avec cette même fièvre, toujours avec ce même abandon. Mais ce n’était pas suffisant.

Ce n’était définitivement pas suffisant pour Tonks.

Alors au prix d’un suprême effort et d’une nuit de douleur, elle prit sa décision : à partir du lendemain elle cesserait tout contact avec lui.

Ce qu’elle fit.

Pendant plusieurs semaines, elle évita au mieux les réunions, prenant ses ordres auprès des autres membres, demandant d’être remplacée lors des missions communes avec Remus. De son côté, Lupin ne changea rien à son comportement. Il ne fit rien pour la voir. Rien pour lui parler.

Mais cet éloignement rendait encore plus pénible les quelques fois où ils venaient à se croiser. Tous deux ignoraient l’autre avec une même impassibilité mensongère, une même indifférence trompeuse. Leurs visages étaient blêmes. Leurs regards détournés. Et pourtant…

Chaque occasion était bonne afin de recueillir les restes d’une relation dorénavant inexistante. Du coin de l’œil, Tonks suivait les gestes de Remus avec une minutie irraisonnée, à l’affut de la moindre parcelle de lui. Son parfum discret lorsqu’il passait à ses côtés. Le timbre rauque, un peu cassé, de sa voix. Sa gentillesse, sa générosité pour tout autre qu’elle.

Elle se sentait plus misérable alors. Plus malheureuse aussi.

Il lui manquait. Il lui manquait atrocement lorsqu’elle était seule, prisonnière de ses pensées, de ses souvenirs. Mais encore plus lorsqu’elle se trouvait à quelques mètres seulement de lui.

Et elle en vint à douter.

N’était-elle finalement pas plus malheureuse sans Remus ? Ces quelques mois avec lui étaient-ils si insupportables ?

Sa peine était si grande qu’elle n’arrivait plus à se montrer objective et seule sa fierté lui permettait de résister. Revenir vers lui, alors qu’il semblait vivre si bien leur séparation ? Non, elle ne pouvait se rabaisser à cela.

Alors elle le fuyait avec plus de détermination encore, bien qu’une partie d’elle-même jugeait cela inutile. Mais avait-elle seulement le choix ?

Colin l’aidait de multiples façons. Son amitié lui était devenue plus nécessaire que jamais. Même si celui-ci ne connaissait que dans les grandes lignes les réalités de leur ancienne relation, il se montrait d’un soutien constant. Il était celui qui participait aux réunions pour elle, qui prétextait toutes sortes d’excuses à ses absences. Il était celui qui prenait sa place lorsqu’elle était assignée à une mission aux côtés de Remus Lupin.

Sans son aide, elle aurait certainement abandonné.

Aussi, face à cet appui fidèle, quelle ne fut pas la surprise de Tonks lorsqu’elle vit la silhouette longue et mince de Remus se profiler devant elle, au lieu de celle plus trapue de son meilleur ami. Cela faisait plusieurs heures qu’elle était en poste dans une vielle maison abandonnée qui avait l’immense avantage de se trouver non loin de la demeure des Goyle. Du grenier, ils avaient même une vue imprenable sur l’imposante porte de la maison. Colin et elle se relayaient dans la mansarde depuis quelques temps déjà et la jeune femme s’était même permise d’installer quelques affaires sur place afin de rendre plus confortable leurs nombreuses heures de surveillance.

Lorsqu’elle découvrit Remus, immobile sur le seuil du grenier, son cœur manqua de s’arrêter. Elle ne s’était pas préparée à cette rencontre. Elle n’avait pas eu le temps de se composer un masque.

- Que fais-tu ici ? demanda-t-elle, presque choquée.

Remus s’avança calmement vers elle et posa la cape qu’il venait de retirer sur le dossier d’un fauteuil.

- Ton ami a été retenu ailleurs, je le remplace, dit-il de ce timbre si particulier.

Tonks dut réfréner un violent frisson et se détourna afin de cacher son trouble. Ils ne s’étaient plus retrouvés seuls tous les deux depuis leur rupture. Mais en y réfléchissant, il n’y avait jamais eu de rupture. Elle avait simplement cessé de l’appeler.

- Et ça ne m’enchante pas non plus, poursuivit Remus, passablement refroidi par l’air accablé de la jeune femme.

- Je… Je n’ai pas dit ça, bredouilla-t-elle en empilant machinalement quelques uns des livres posés sur une vielle commode.

- Je commence à te connaître, tu n’as pas besoin de parler.

Malgré elle, une chaleur agréable se répandit dans son corps et Tonks s’adoucit.

- J’ai juste été surprise…

- Je comprends…

Retrouvant quelque peu ses esprits, elle jeta un coup d’œil furtif vers Remus et croisa son regard perçant.

- J’imagine que c’est plus agréable de faire équipe avec Wilkes ? poursuivit-il d’un ton indifférent qui contrastait avec la jalousie sous-entendue dans sa question.

Quelque peu surprise, Tonks se détourna de nouveau et entreprit de rassembler ses affaires d’une main tremblante.

A quoi jouait-il ?

- Disons qu’il est plus bavard que toi.

- Et donc ?

- Donc le temps passe plus vite.

- Je vois… Je suis ennuyeux à ce point ?

- C’est toi qui le dis, répliqua la jeune femme, agacé par le ton désabusé de sa voix.

Que cherchait-il exactement ? A quoi rimait cette discussion ? C’était elle la victime, après tout ! Pas lui !

- En fait, c’était une question, indiqua Remus en faisant quelques pas dans la pièce.

- Ah bon ? Décidément, on a vraiment du mal à se comprendre toi et moi.

Et voilà. Quelques secondes seule avec lui et sa colère refaisait surface. Elle devait absolument se calmer. Elle n’avait aucune envie de s’emporter et de lui dire certaines choses qu’elle regretterait.

Elle s’était suffisamment dévoilée comme cela.

- Ce doit être de ma faute, répondit-il finalement en se plantant dans son dos. Il paraît que je ne sais pas parler.

Troublée par sa proximité, la jeune femme se saisit de ses livres ainsi que de sa veste et les pressa contre elle.

- Je n’ai jamais dit que… commença-t-elle en se retournant vers lui.

Mais lorsqu’elle croisa son regard froid et impersonnel, sa mâchoire se crispa.

- Oh ! et puis, laisse tomber !

Face à face, ils se dévisagèrent : Tonks avec une franche hostilité, Remus avec son habituelle indifférence.

Pourquoi l’observait-il ainsi, sans dire un mot ? Pourquoi était-il si proche d’elle, à quelques centimètres à peine ? Si proche que les effluves discrètes de son eau de toilette vinrent emplirent l’air tout autour d’elle.

Le cœur de Numphadora se mit à battre plus fort.

Ses mains se resserrèrent autour de ses affaires qu’elle gardait contre elle, tel un bouclier, et au prix d’une grande volonté, elle parvint à soutenir son regard sans faiblir.

- Il vaudrait peut-être mieux que tu ailles faire ton rapport, murmura-t-il finalement, sans bouger pour autant.

- Si tu le dis.

Elle attendit qu’il fasse un pas en arrière afin de pouvoir passer mais il restait obstinément immobile, si bien qu’elle crut un instant qu’il ne voulait pas la voir partir.

Puis enfin, il émit un soupir mesuré et s’écarta. Perplexe, Tonks observa la visage fermé de Remus avant qu’il ne se détourne et crut un bref instant y déceler de la déception, mais elle balaya très vite cette sotte idée.

- Je t’envoie la relève dans quelques heures, lui lança-t-elle en s’éloignant.

Il ne répondit pas.

L’absence de Remus lors de la réunion du lendemain matin ne troubla personne. Selon Colin, il avait tenu à rester en faction devant la demeure des Goyle et Tonks se demanda si elle était d’une manière ou d’une autre responsable d’un tel choix.

L’alerte fut cependant déclenchée le surlendemain. Lupin manquait toujours à l’appel et lorsque Dedalus Diggle alla vérifier la présence du Maraudeur dans la vieille maison, il ne trouva personne.

Remus Lupin avait disparu.

Plusieurs membres de l’Ordre fouillèrent les lieux avec minutie afin de trouver quelques indices désignant le responsable mais ils revinrent bredouilles.

On interrogea Colin, le dernier à avoir vu Lupin vivant, et Maugrey Fol Œil ne mit qu’un instant à voir en lui le responsable de cette disparition. Tonks, absente ce matin-là, n’apprit la nouvelle qu’en fin d’après-midi.

Evitant toujours Remus et attendant Colin en vain afin d’obtenir son nouvel ordre de mission, elle avait été contrainte de rejoindre le Quartier Général. De méchante humeur et angoissée à l’idée de tomber de nouveau nez à nez avec Lupin, la jeune femme pénétra d’un pas lourd dans la demeure des Black. Mais une agitation sans précédent régnait à l’intérieur de la maison et elle s’arrêta sur le seuil, perplexe.

Mrs Black hurlait des insultes à plein poumons tandis que Fol Œil, Sirius et Mr Weasley s’entretenaient avec virulence, indifférents au vacarme environnant. Les trois hommes parlaient fort et, à voir leurs visages crispés, les opinions semblaient diverger.

- Tu ne peux pas l’accuser comme ça, sans preuves, dit Arthur, passablement agacé.

- Je vais me gêner ! ricana Maugrey, son visage défiguré se tordant d’un sourire forcé. Je savais qu’on n’aurait jamais dû l’accepter dans nos rangs ! Un mois à peine après son arrivée et voilà que l’un d’entre nous disparait mystérieusement !

- Ça ne veut rien dire et tu le sais parfaitement !

- Rien dire ? Tu plaisantes, j’espère !

La jeune femme sut rapidement qui était ainsi incriminé. Il y avait trois nouvelles recrues au sein même de l’Ordre mais une seule d’entre elle était capable de provoquer une telle animosité chez Fol Œil.

- Tonks a confiance en lui, intervint Sirius, inconscient de la présence de la jeune femme à quelques pas de lui. C’est suffisant pour moi…

Malgré son inquiétude face à la disparition d’un des leurs, un fin sourire détendit les lèvres de la jeune femme.

- … Et je t’arrête tout de suite ! rajouta Black tandis qu’Alastor ouvrait la bouche pour répondre. Tu sais très bien que je ferais n’importe quoi pour retrouver Lunard mais là, nous perdons notre temps !

Le sang de Tonks se glaça. Pâle comme un linge, elle sentit ses jambes vaciller sous le choc.

- Comment ? bredouilla-t-elle si bas que sa question se perdit dans le brouhaha environnant.

- Faisons-le parler ! insista Fol Œil. Il suffit de demander à Rogue de nous ramener du Veritaserum.

- Nous avons mieux à faire que de nous suspecter mutuellement, rétorqua Arthur. Colin affirme ne rien savoir et nous aurons besoin de tout le monde pour retrouver Remus.

- Je tiens à participer aux recherches ! intervint Sirius.

Mr Weasley fit la grimace.

- Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée. Dumbledore…

- Je me fiche de ce que dit Dumbledore ! Il n’est pas là de toute façon !

Au prix d’un suprême effort, Tonks parvint à mettre un pied devant l’autre et s’avança vers le petit groupe. Mrs Black fut la première à la voir.

- TOI ! ABJECTE SANG MELEE ! COMMENT OSES-TU SOUILLER CETTE NOBLE DEMEURE DE TA PRESENCE ? TU N’ES PAS DIGNE DE TE PRESENTER DEVANT MOI !

Ces paroles, noyées au milieu d’un flot ininterrompu de propos agressifs, attirèrent cependant l’attention des trois hommes et ils se retournèrent. Découvrant la jeune femme, Sirius s’avança de suite vers elle.

- Enfin ! On attendait plus que toi. Lunard a disparu.

- Comment ? répéta Tonks d’une voix plus ferme.

- Aucune idée. Il n’y a aucune trace visible de lutte et Alastor est persuadé que Colin est dans le coup.

- C’est grotesque, commenta la jeune femme en balayant ces propos d’un revers de la main. Qu’a-ton fait pour le retrouver ?

- Pour le moment, pas grand-chose. On a vérifié les lieux où il aurait pu allés mais sans succès, expliqua Sirius, le visage blême. Non, ce n’est pas normal. Il aurait dû nous contacter depuis longtemps maintenant.

Tonks se contenta d’acquiescer. Remus était réputé pour sa ponctualité et son respect des règles… tant qu’aucun Maraudeur n’était là pour l’en détourner. Et le seul encore capable de le faire se trouvait devant elle.

- C’est la Pleine Lune, ce soir, ajouta Sirius, le regard grave.

La jeune femme pâlit un peu plus.

- Où sont les autres ? demanda-t-elle finalement.

- Dans la cuisine avec Colin. Arthur et moi tentions d’empêcher Alastor de le couper en petits morceaux.

D’un grognement rageur, Tonks contourna Sirius et passa devant Fol Œil, le regard mauvais.

- Et si on organisait un peu les recherches au lieu de rester planter ici à ne rien faire ? cracha-t-elle à son encontre.

- On n’attendait plus que toi, Tonks, rétorqua Alastor tout aussi froidement, avant de la suivre dans le couloir menant à la cuisine.

Arthur leur emboîta aussitôt le pas, talonné quelques secondes plus tard par Sirius, sa baguette encore à la main. Mrs Black s’était enfin tue.

Lorsque la jeune femme pénétra dans la cuisine, elle fut frappée par le nombre impressionnant de personnes présentes. Jusqu’ici, l’Ordre n’avait jamais été au complet et la pièce, pourtant grande, semblait soudain trop étroite.

Rogue se tenait au centre de l’attroupement et posait une à une les petites fioles contenant la potion Tue-Loup, indispensable si jamais ils venaient à trouver Remus avant le coucher du soleil. Un silence étonnamment pesant régnait dans la pièce et seul le léger cliquetis sourd et répétitif des bouteilles de verre se faisait entendre.

Se faufilant au milieu de l’assemblée, Tonks finit par découvrir un Colin pâle, prostré sur une chaise. Celui-ci leva un regard accablé vers elle et Nymphadora vint se placer dans son dos, une main amicale posée sur son épaule.

Lorsque Rogue eut fini de mettre les fioles sur la table, chaque membre vint se servir avant de reprendre sa place initiale. Fol Œil observait Colin avec une hostilité évidente mais il resta silencieux et la réunion put enfin commencer. L’un après l’autre, ils se répartirent les zones à couvrir, tout en sachant que si Remus était aux mains de Voldemort lui-même, ils n’avaient guère de chance de le retrouver. Sirius participa activement à la réunion, décidé à se joindre aux recherches mais l’arrivée inattendue de Dumbledore mit un terme à ses espérances.

Une brève altercation eut lieu opposant les deux hommes et Sirius y mit fin d’un tonitruant :

- S’il n’est pas retrouvé d’ici deux jours, vous aurez beau m’abrutir de toutes vos mises en garde, personne ne pourra m’empêcher d’aller le chercher. Personne, vous m’entendez ?

Il se tut un instant, le regard résolu puis leva la main.

- Deux jours, répéta-t-il avant de sortir de la cuisine en claquant bruyamment la porte derrière lui.

Tonks aurait préféré voir Sirius l’emporter cette fois-ci sur Dumbledore. Plus nombreux ils seraient à chercher Remus, plus ils auraient de chance de le retrouver. Pour l’heure, elle ne voulait pas penser plus avant à la douleur dans son ventre, à la terreur qui vrillait chaque parcelle de sa peau.

Une main chaude vint doucement se poser sur la sienne et Tonks croisa le regard encourageant de Colin. Elle n’eut pourtant pas la force de lui sourire.

Quelques minutes plus tard, la réunion prit fin et l’Ordre se dispersa hâtivement. Tandis que Nymphadora sortait de la cuisine, elle remarqua Dumbledore et Fol Œil debout à l’écart. Face à l’âpreté avec laquelle Alastor s’exprimait, la jeune femme dut se faire violence pour ne pas exploser. Perdre son temps ainsi la mettait hors d’elle. Elle suivit cependant les derniers membres de l’Ordre et se retrouva bientôt dans la rue.

Un tel nombre de personnes sortant d’une maison manquait cruellement de discrétion mais ils n’avaient guère le choix. Le col de leurs capes relevé, tous partirent dans des directions opposées et disparurent rapidement. Entrant dans une ruelle adjacente au Square Grimmaurd, Tonks s’apprêtait à saluer Colin avant de transplaner mais celui-ci posa une main sur son bras afin d’attirer son attention.

- Attends, il faut que je te parle.

- Ça ne peut pas attendre ? demanda précipitamment la jeune femme, pressée de commencer les recherches. Si c’est à propos d’Alastor…

- Non, ça n’a rien à voir, affirma-t-il, le regard anxieux.

Tonks fronça les sourcils et observa le visage pâle et tendu de son ami.

- Que se passe-t-il ?

Colin jeta un coup d’oeil hâtif autour d’eux puis reporta son attention sur la jeune femme. Il semblait extrêmement inquiet.

- … Il y a quelque chose qui ne va pas…

- Qui ne va pas ? répéta Tonks, perplexe. Je ne comprends pas.

Il hésita quelques secondes puis dit :

- Je crois savoir où est Lupin.

Nymphadora le regarda, stupéfaite.

- Comment ? … Où ça ? Pourquoi n’en as-tu pas parlé pendant la réunion ?

- Parce que j’avais peur ! Maugrey était déjà prêt à m’envoyer à Azkaban sans preuves !

- Colin ! se lamenta la jeune femme. Cacher quelque chose à l’Ordre n’est pas la meilleure façon de prouver ton innocence.

- Je le sais bien ! répliqua-t-il désespéré.

Tonks émit un soupir agacé mais revint rapidement au plus urgent.

- Remus ?

- … Eh bien, commença le jeune homme, les sourcils froncés. Il s’est passé un truc bizarre, ce matin. Je me suis réveillé complètement groggy… J’étais encore habillé, ce qui en soit n’est pas vraiment insolite puisqu’il m’arrive souvent de…

- Viens en aux faits, Colin, le coupa Nymphadora, suppliante. Je t’en prie. Où penses-tu qu’il soit ?

- Dans la maison de mon oncle.

- L’ancien Mangemort ?

- Je n’en ai jamais eu qu’un… lâcha-t-il exaspéré.

- Mais elle est bien abandonnée, non ?

- Je n’ai vu personne lorsque je me suis réveillé ce matin.

Un bref silence se fit.

- Quoi ? s’exclama la jeune femme, abasourdie. Attends… Tu t’es réveillé ce matin dans la maison abandonnée de ton oncle ? récapitula-t-elle.

- Tu ne m’as pas laissé finir tout à l’heure, protesta Colin.

- Mais qu’est-ce que tu fichais là-bas ?

- Comment veux-tu que je le sache ! C’est bien ça le problème !

La jeune femme observa longuement le visage sincère de son ami mais garda le silence.

Cette histoire d’amnésie et de réveil dans la maison d’un ancien Mangemort n’était guère rassurante mais Tonks fit mine de ne pas relever afin de garder une plus grande marge de manœuvre. Elle ne savait pas exactement ce qui était arrivé à son ami, mais elle ne voulait prendre aucun risque. Sa seule certitude était son innocence.

Mais il était de notoriété publique que les Mangemorts utilisaient tous les moyens à leur disposition pour corrompre ou manipuler les gens. Colin était-il sous l’emprise de l’Imperium ou était-il obligé de mentir sous le risque de voir un être cher disparaître ?

Quelle qu’était la situation, la meilleure chose à faire était encore de ne rien révéler de ses susceptions.

Elle sourit donc à Colin puis fit quelques pas afin de jeter un bref coup d’œil dans la rue adjacente. Il n’y avait aucun signe d’Alastor ou de Dumbledore mais ça ne signifiait pas forcément que les deux hommes étaient partis.

- Nous devrions en parler aux autres, dit-elle finalement.

- Par pitié, Tonks ! s’empressa de gémir Colin. Ils vont tous croire que je suis un Mangemort !

- Mais non, voyons ! Il n’y a qu’Alastor pour penser ça ! Et franchement, il est tellement parano que ça ne veut rien dire !

- Tonks ! S’il te plait, insista le jeune homme. Lupin n’est peut-être même pas là-bas !

Nymphadora se tourna et observa de nouveau le visage suppliant de son ami, hésitante. Devait-elle se risquer à y aller seule ?

- Allez ! poursuivit-il, une lueur d’espoir dans les yeux. On y va rapidement et on jette un coup d’œil. Si on voit quoique ce soit de suspect, on revient chercher de l’aide.

Tonks soupira, le ventre noué d’angoisse.

- Très bien. De toute façon, le temps presse, murmura-t-elle, le nez levé vers le soleil couchant.

Ses doigts se refermèrent un court instant autour de la petite fiole, à l’abri dans la poche de sa cape, puis la jeune femme se tourna résolument vers Colin.

- Allons-y.

Sous l’initiative de Tonks, les deux Aurors se munirent prudemment de leurs baguettes magiques et quelques secondes plus tard, ils disparurent dans un craquement familier.

 

***

 

La vieille demeure de John Wilkes, Mangemort de triste renom, était d’aspect aussi vétuste et lugubre que celle des Black. A l’écart de toute civilisation, elle surplombait une vaste forêt mais seul le toit éventré de l’édifice dominait la cime haute des arbres. Ses lourds murs de pierre étaient d’un noir d’encre, taillée dans la roche volcanique et rendait la maison aussi sinistre que possible.

Lorsque les deux jeunes Aurors parvinrent à l’orée du bois et levèrent les yeux vers le manoir inhabité, Tonks sentit un désagréable frisson la parcourir. Chaque pierre suintait la mort.

D’un signe de la main, elle incita Colin à faire le tour de la demeure tout en restant cachés dans les fourrés. Il n’y avait pas âme qui vive et aucune preuve d’une quelconque activité aux alentours.

- Cette maison me donne la chair de poule, murmura la jeune femme.

- Tu comprends mieux pourquoi je ne me suis pas éternisé, ce matin… L’intérieur est encore pire.

- Eh bien, allons voir ça.

Et sans un mot de plus, Tonks s’élança hors de leur cachette. Colin à ses côtés, ils rejoignirent à la hâte la lourde porte d’entrée. Elle était ouverte.

- Je suis sorti d’ici comme si j’avais le diable aux fesses, souffla-t-il tandis que la jeune femme pénétrait prudemment dans la maison.

Colin n’avait pas menti. L’intérieur était encore pire. Moins ancienne et illustre que les Black, il n’en demeurait pas moins que la famille Wilkes avait un goût prononcé pour la magie noire… et le mobilier pompeux. Des ornements aux formes sinistres tapissaient les murs et les plafonds. Les pièces étaient certes grandes mais étouffantes et Tonks put remarquer que l’habitude d’utiliser des têtes d’Elfes de Maison comme ornement n’était pas l’apanage de la famille Black.

- On commence par où ? demanda la jeune femme.

- Par le sous-sol, non ?

Les doigts de Nymphadora se resserrèrent autour de sa baguette.

- Je te suis, dit-elle en jetant un dernier regard à la porte d’entrée toujours ouverte.

Le ciel s’assombrissait de minute en minute.

Les nerfs tendus, la jeune femme emboîta vivement le pas à Colin. Une obscurité absolue les enveloppait, aussi durent-ils utiliser leurs baguettes magiques afin de leur permettre de discerner les murs étroits et oppressants qui les entouraient.

- Tu es souvent venu ici ? demanda-t-elle à voix basse quelques secondes plus tard, le suivant dans les entrailles de la demeure.

- Lorsque j’étais enfant, oui. Mais mes parents ont fini par couper les ponts après mon entrée à Poudlard. Apparemment, l’Oncle John n’avait pas apprécié que j’atterrisse à Gryffondor. Mon père et lui se sont brouillés peu après.

- Logique…

Parvenus en bas des escaliers, les deux Aurors se turent et firent prudemment le tour de la cave. Grâce aux souvenirs quelque peu brumeux de Colin, ils parvinrent à trouver un passage secret menant vers l’extérieur du domaine mais hormis quelques araignées et rats, il n’y avait nul trace de vie.

Tonks finit par jeter un œil à sa montre et grommela :

- Nous perdons notre temps ici. Allons plutôt voir les étages.

Choisissant prudemment de ne jamais tourner le dos au jeune homme, Nymphadora fit un signe de la main afin qu’il passât le premier et le suivit jusqu’au rez-de-chaussée. Ils fouillèrent le salon, la salle à manger, la cuisine et trois autres pièces puis rejoignirent le premier étage. Bredouilles là encore, ils grimpèrent jusqu’au second mais n’eurent pas plus de chance.

- Il y a quoi, là-haut ? demanda Nymphadora en tendant la pointe lumineuse de sa baguette en direction d’un escalier usé et branlant.

- Le grenier, je pense…

Mais à peine avait-il répondu qu’un craquement assourdissant les faisait sursauter. Les deux Aurors tendirent le bras en avant, le regard rivé à la porte fermée en haut des marches. Un autre choc suivit, si violent que les murs se mirent à trembler. D’un geste épouvanté, Tonks regarda sa montre et pâlit.

La maison était si sombre qu’elle n’avait pas vu le soleil se coucher.

- Je crois que nous venons de le trouver… indiqua Colin.

- Ce n’est pas forcément lui, répondit la jeune femme, prudente.

Et pourtant son cœur battait à coups désordonnés.

Il fallait que ce soit Remus. Là-haut, dans cette pièce. Vivant.

Avec l’aide de Colin, elle pourrait facilement le maîtriser puis le ramener sain et sauf chez Sirius.

Mais pour cela… il fallait absolument que ce soit lui.

Se contraignant à ne pas grimper les marches quatre à quatre, la jeune femme se tourna vers Colin et ils montèrent de concert, leurs baguettes levées devant eux.

De nouveaux chocs se firent entendre à travers la porte fermée, des grognements aussi qui firent battre le cœur de Tonks plus vite. Ce ne pouvait être que lui. Il fallait que ce soit lui. Lorsqu’ils parvinrent en haut des marches, la jeune femme tourna un regard entendu à Colin afin qu’il se tienne prêt.

Puis tout alla très vite. Sa baguette magique bondit hors de sa main, la porte s’ouvrit brusquement devant elle et avant qu’elle n’ait eu le temps de réagir, Tonks était violemment poussée à l’intérieur du grenier.

La force de l’attaque la fit trébucher et elle s’effondra de tout son long sur le plancher poussiéreux. Un claquement se fit entendre dans son dos. La porte venait de se refermer sur elle.

Un court silence se fit pendant lequel Tonks se redressa, le souffle court, la peur au ventre. Puis un grognement sourd et menaçant lui parvint. Elle tourna un regard terrifié vers le fond de la pièce et vit briller dans l’obscurité des lieux deux immenses yeux jaunes.

Son premier réflexe fut de chercher sa baguette.

- Lumos ! dit-elle avec espoir.

Mais rien ne se produisit. Son agresseur n’avait pas fait la sottise de la lui laisser à portée de main.

Un rugissement lui fit hâtivement reporter son attention sur la chose présente à l’autre bout de la pièce. L’immense grenier était comme le reste de la maison, encombré, et un amoncellement de meubles et d’objets divers les séparait. La visibilité était restreinte et seule la lune éclairait par endroit les lieux. Pour l’heure, l’intrus se trouvait caché dans un recoin obscur mais plusieurs bruits sourds lui firent comprendre qu’il venait vers elle.

Reprenant ses esprits, la jeune femme se releva vivement et essaya de transplaner hors de la pièce mais une force inconnue l’en empêchait.

- Par Merlin, bredouilla-t-elle.

Elle était tombée dans un piège. Que s’était-il passé de l’autre côté de la porte ? Elle n’avait pas quitté Colin des yeux, ce n’était donc pas lui qui l’avait désarmée.

- COLIN ! AIDE-MOI ! appela Nymphadora, tandis que les meubles se brisaient sous le passage de la bête. COLIN !

Puis tout à coup, un rayon de lune vint frapper la forme sombre et mouvante. Une silhouette longue et voûtée, une gueule menaçante et balafrée.

- Remus, murmura Tonks, en partie soulagée.

Plus de doutes possible. C’était bien lui.

Mais son apaisement fut de courte durée. Remus était peut-être devant elle, mais c’était le loup qui dominait. D’un violent coup de patte aux griffes acérées, il balaya la dernière chaise qui les séparait et s’élança vers la jeune femme.

Tonks bondit sur le côté, évitant de justesse le Loup-Garou, puis courut se réfugier à l’autre bout du grenier. Les bruits dans son dos lui apprirent que l’hybride n’avait été que piètrement ralenti par son esquive et elle fouilla du regard la pièce encombrée à la recherche de son salut. Ses yeux accrochèrent finalement une série d’armoires accolées les unes aux autres et Tonks plongea vivement afin de se glisser en dessous. Son corps de femme eut quelques difficultés à se faufiler sous les meubles mais grâce à son don de métamorphomage, elle eut tôt fait de remédier à cela.

Elle finissait de ramener ses jambes à elle lorsque les armoires furent violemment percutées par le loup. Le souffle court, Tonks se mit à ramper sous les meubles, indifférentes aux éclats de bois entaillant sa peau et aux toiles d’araignées s’accrochant à ses cheveux. Ce qui la pourchassait était bien plus dangereux. Au dessus d’elle, les armoires craquaient de protestation face aux coups redoublés du Loup-Garou, mais la jeune femme se savait à l’abri. Les meubles étaient lourds et solides. Ils le tiendraient éloignés d’elle quelques minutes.

- COLIN ! appela-t-elle de nouveau.

Elle ne savait pas ce qui s’était passé tout à l’heure. Et à bien y réfléchir, la seule personne suffisamment proche pour la pousser à l’intérieur du grenier n’était autre que le jeune Auror lui-même. Mais elle se refusait à envisager un seul instant qu’il ait été pleinement conscient de ce qu’il faisait.

Soudain une détonation se fit, mettant un terme à ses spéculations. Les armoires cessèrent de bouger tandis que l’hybride dressait lui aussi l’oreille. Un combat se jouait derrière la porte du grenier. Des voix d’hommes, des cris se succédaient aux sortilèges lancés dans l’escalier et, le cœur battant, Tonks reconnut le timbre rageur de Fol Oeil.

Il les avait suivis ! songea la jeune femme pleine d’espoir, son animosité envers la paranoïa de Maugrey envolée.

- ALASTOR ! s’écria-t-elle.

Cet appel sembla ramener le Loup-Garou à la réalité et il reprit ses coups puissants contre l’armoire la plus proche. Ventre à terre, Tonks voyait d’épais éclats de bois tomber sur le sol tandis qu’il réduisait en charpie tout ce qui lui barrait le passage. Ses attaques redoublaient de violence.

Au loin, le combat se poursuivait. Des éclats de lumière jaillissaient à travers les fissures de la porte toujours fermée et illuminaient par instant le grenier obscur. Tonks put alors faire un repérage des lieux, notant dans un coin de son esprit de possibles abris. Son attention fut cependant attirée par une explosion plus forte que les autres. La jeune femme craignait pour la vie de Colin. Les évènements ne faisaient que confirmer les doutes de Fol Œil et le dernier sort jeté semblait être extrêmement puissant.

- TONKS ! appela soudain une voix connue.

- ALASTOR ! répondit-elle suffisamment fort cependant pour couvrir le bruit assourdissant que faisait le lycanthrope. REMUS EST LA, MAIS IL EST…

- JE SAIS ! JE VAIS FAIRE SAUTER LA PORTE !

- OK !

Au loin, Fol Œil marmonna quelque chose puis une nouvelle détonation fit trembler les murs… mais la porte resta close. Tonks l’entendit essayer de nouveau sans succès, hélas.

- Par Merlin… JE N’Y ARRIVE PAS ! … TONKS, TU M’ENTENDS ?

- … OUI ! répondit la jeune femme, la peur au ventre.

Elle était prisonnière de cette fichue pièce en compagnie d’un Loup-Garou et n’avait ni baguette ni aucune porte de sortie.

- JE VAIS ALLER CHERCHER DUMBLEDORE !

- NON... Ce sera trop tard, murmura-t-elle tandis que la seconde armoire se voyait à son tour réduite à un tas de bois éparpillé dans la salle. J’AI BESOIN DE LUMIERE !

Aussitôt dit, aussitôt fait, un faisceau lumineux d’une puissance considérable jaillit des interstices de la porte et illumina la pièce.

- COMMENT VA COLIN ? demanda-t-elle en regardant avec attention autour d’elle.

- IL EST VIVANT… bougonna Fol Œil. LES AUTRES ONT FUI.

Rassurée, Tonks avisa une fenêtre qu’elle n’avait pas remarquée de prime abord. Le verre était teint et les faibles rayons de la lune ne parvenaient pas à le traverser.

Une idée lui vint alors à l’esprit.

Certes, le grenier était beaucoup trop haut pour espérer pouvoir s’échapper par là mais…

- ALASTOR ! appela-t-elle. OCCUPE-TOI DE COLIN ET REJOIGNEZ LE QG !

- … MAIS… ET TOI ?

- NE T’INQUIETE PAS ! J’AI UNE IDEE !

- … C’EST CENSE ME RASSURER ?

- TRES DROLE !… ALLEZ OUST !

Elle entendit Fol Œil bougonner derrière la porte mais Remus se rappela très vite à elle. Il n’était plus très loin et essayait de l’atteindre, son long bras tendu sous le meuble. Ses griffes affûtées entaillèrent le tissu souple de sa cape et Tonks s’empressa de rouler sur elle-même afin de s’écarter davantage.

Son plan était dangereux mais la situation était plus que désespérée.

Elle attendit de voir l’hybride se redresser et la perdre ainsi de vue pour rejoindre hâtivement le bord droit de l’armoire sous laquelle elle se trouvait. Le plus silencieusement possible, elle s’extirpa de son abri puis gagna à pas de velours la fenêtre.

C’était maintenant ou jamais.

- REMUS, PAR ICI !… Viens me faire un câlin, murmura la jeune femme, le cœur au bord des lèvres.

Les coups cessèrent aussitôt et le pas lourd et menaçant du Loup-Garou se rapprocha précipitamment. Des objets volèrent sur son passage puis sa silhouette massive sortit enfin de l’ombre et bondit vers elle.

Sur le qui-vive, Tonks parvint à éviter ses griffes tranchantes et sa gueule aux dents acérées mais enroula vivement ses bras autour de sa taille étroite et s’y accrocha solidement. Elle pesa alors de tout son poids sur lui et, emporté par son élan, le Loup-Garou vint brutalement percuter la vitre.

Le verre se brisa sous le choc.

Les yeux fermés, la jeune femme sentit ses pieds quitter brusquement le sol et un rugissement furieux résonna soudain à ses oreilles. Elle resserra son étreinte, indifférente au verre cassé qui tailladait la peau nue de ses bras. L’air frais de la nuit puis une sensation de chute lui firent pourtant redresser la tête et son regard accrocha le sol terreux qui se rapprochait dangereusement.

Alors, elle transplana.

 

 

 

A SUIVRE...