LUNARD

 

Chapitre 15


Un soleil resplendissant accueillit Tonks et elle leva vivement la main au-dessus de son front afin de protéger ses yeux de la lumière. Son regard balaya la végétation luxuriante qui l’entourait et elle se surprit à sourire pour la première fois depuis plusieurs jours. Elle n’avait pas réalisé que la pluie avait cessé, laissant sa place à la douce chaleur de l’été. Mais pour sa défense, elle n’avait guère eu l’occasion ni l’envie de quitter son appartement, et y serait d’ailleurs bien restée, n’eut été ses obligations envers l’Ordre. Le congé maladie qu’elle s’était octroyée ne pouvait la dispenser de répondre à l’appel de Dumbledore.

Bien sûr, depuis l’apparition de Voldemort au sein même du Ministère, tous les Aurors avaient été enjoints à se présenter de toute urgence devant Rufus Scrimgeour, directeur de leur département. Mais elle ne s’en était pas sentie capable. La mort de Sirius l’avait assommée.

Certains auraient pu trouver disproportionné un tel chagrin pour un homme qu’elle n’avait connu que tardivement. Après tout, leur première rencontre ne datait même pas d’un an. Mais son affection pour lui avait été étrangement naturelle et spontanée, comme si les liens du sang avaient soudain eu un sens.

Pourtant, avant de connaître Sirius Black, elle n’avait jamais ressenti autre chose que de l’aversion pour sa famille maternelle, et c’était ce sentiment qui l’avait tant rapprochée de Colin. Tous deux avaient toujours haï cordialement tout ce qui avait eu trait de près ou de loin à cette part de leur héritage. Cette obsession du sang pur.

Et néanmoins, Nymphadora avait ressenti très tôt quelques regrets de n’avoir aucun lien particulier avec des membres de sa famille. Des personnes qui, bien sûr, partageraient sa répugnance envers la très noble et ancienne maison des Black. Aussi, sa rencontre avec Sirius avait été pour elle un moment très important de sa vie. Elle revoyait comme si c’était hier le regard curieux et avenant que posait sur elle son cousin. Un regard qui exprimait avec exactitude ses propres sentiments. Une poignée de main, un échange de sourires, et Nymphadora avait su de suite qu’ils étaient semblables tous les deux. Avec son visage marqué par treize années à Azkaban et ses longs cheveux noirs lui tombant sur les yeux, il dégageait une aura de sévérité qui aurait pu la rebuter, mais son regard pétillant de malice avait aussitôt dissipé cette impression négative.

- Ah ! Je rencontre enfin l’autre paria de la famille, lança-t-il d’une voix enjouée qui contredisait la dureté de ses propos.

- Venant de toi, ça doit être un compliment… cher cousin.

Elle avait rajouté ces deux derniers mots après une brève hésitation, et vit le visage de Sirius se fendre d’un sourire amusé avec une émotion inattendue. Il semblait apprécier cette marque de reconnaissance tout autant qu’elle.

- En effet ! Même s’il faut avouer que dans le genre « exclu », je te surpasse largement !

- Désolée de ne pas avoir eu le temps de séjourner à Azkaban ! Ça nous aurait sûrement mis à égalité !

- Pour ça, il aurait surtout fallu que tu t’en échappes ! dit-il en lui décochant un clin d’œil espiègle.

Le sourire de Sirius s’était élargi et Tonks éprouva une soudaine allégresse en découvrant qu’en plus du sang, ils partageaient le même humour.

- Douterais-tu de mes capacités ? demanda-t-elle alors en sortant théâtralement sa baguette magique.

- Du tout ! Et range-moi ça tout de suite, tu pourrais blesser quelqu’un.

- La confiance règne !

Face à ce cri indigné, les yeux de Sirius s’écarquillèrent et il leva vivement les mains devant lui en signe de bonne foi.

- Mais bien sûr ! N’oublie pas que c’est grâce à moi que tu as rejoint notre « bande de gais lurons ».

- Hum… sans vouloir vexer quiconque, vous n’êtes pas réputés pour vos « franches rigolades ».

Surtout toi, après treize années à Azkaban… poursuivit mentalement la jeune femme avec une pointe de rancœur.

Mais elle sourit intérieurement.

Cela faisait à peine une minute qu’elle connaissait Sirius et déjà elle souffrait de l’injustice qui l’avait frappé.

- Ah mais détrompe-toi ! contredit-il en dirigeant son regard vers un coin de la pièce, non loin d’eux. Regarde le grand tout sec là-bas. C’est Remus Lupin, avoue qu’il respire la joie de vivre !

Elle se tourna vers l’homme en question mais n’y vit rien d’autre qu’un sorcier fatigué, à la figure pâle. Elle reporta donc son attention sur son cousin, et face à sa mine sceptique, celui-ci reprit sur un ton de conspirateur :

- Faut pas te fier à son air sérieux et à son teint blême. C’est juste une façade qu’il se donne.

- Dans ce cas, c’est très réussi, affirma-t-elle en jetant un autre coup d’œil vers Remus, toujours aussi morose.

Un nouveau sourire apparut sur les lèvres de son cousin et il se pencha vers elle.

- Tu veux t’amuser ? Observe… Lunard !...

Sirius leva une main en direction de son ami et l’agitait vivement afin d’attirer son attention. Lorsque ce fut chose faite, il continua :

- … Approche que je te présente la digne représentante de la seule souche respectable des Black.

Tonks croisa le regard rieur de son cousin puis se tourna vers le dénommé Lupin. Ses yeux glissèrent discrètement sur ce dernier, observant ses cheveux parsemés de mèches blanches, son air las et ses vêtements usés jusqu’à la corde. Il n’avait vraiment rien d’un « gai luron ».

- Je te présente Remus, lança Sirius en désignant son ami. Celui qui pourrait être le symbole de notre joyeuse bande.

- Enchantée, parvint-elle à articuler, taisant une furieuse envie de rire face à la mine totalement impassible de l’inconnu.

Puis, Sirius posa une main sur l’épaule de la jeune femme.

- Et voici Nymphadora Tonks, ma cousine.

- J’ai beaucoup entendu parler de vous, Nymphadora, répondit le maraudeur en serrant la main qu’elle lui tendait.

Lorsqu’ils eurent fini de se saluer, Tonks se pencha vers Sirius et lui chuchota, suffisamment fort cependant pour être entendu de Remus :

- Tu ne lui as pas dit que je détestais qu’on m’appelle comme ça ?

- Oups ! Désolé, se navra Black. Enfin, à ma décharge, je ne le savais pas.

- Eh bien maintenant que tu le sais, tâche de le lui faire savoir.

Ils échangèrent un nouveau sourire et Tonks trouva extraordinaire de pouvoir plaisanter aussi naturellement avec un homme qu’elle venait tout juste de rencontrer.

- Elle est vraiment charmante, toute en douceur et en nuance, tu ne trouves pas, Remus ?

Celui-ci les observait avec une méfiance évidente et esquissa une grimace significative, jugeant certainement inconscient de se confronter à deux Black en même temps.

- Euh… Je dois vous laisser, on m’attend… s’excusa-t-il en s’éloignant déjà.

- Tu vois, tu l’as fait fuir ! se récria Sirius en regardant son ami prendre la poudre d’escampette.

- Pauvre petit, lâcha-t-elle toute ironique, avant de lever les yeux vers son cousin, le coude en l’air. Je dois parler à Dumbledore, tu m’accompagnes ?

Un sourire charmeur sur les lèvres, Sirius fit une courbette et s’empressa de lui prendre le bras.

- Avec plaisir.

Et là encore, ils avaient échangé un sourire et Nymphadora avait eu pour la première fois de sa vie, la sensation de faire partie d’une famille.

Oui… Elle avait aimé Sirius dès leur première rencontre.

Alors c’était avec un profond soulagement que Tonks avait appris que l’Ordre se réunissait cette fois-ci au Terrier. Jamais elle n’aurait supporté de passer de nouveau le seuil du 12 Square Grimmaurd. Il y avait trop de souvenirs dans ces murs, et beaucoup trop de symboles. Cette maison, aimée et haïe, avait deux visages. Celui de Sirius Black et ce pour quoi il était mort.

Jamais plus elle ne pourrait y retourner.

Une douleur sourde se répandit soudainement en elle et Tonks soupira bruyamment afin de la chasser. S’avançant vers le Terrier, elle salua machinalement Colin, Kingsley et Doge qui prenaient l’air en attendant l’arrivée des derniers retardataires puis pénétra dans la maison. Les fenêtres étaient grandes ouvertes, le salon et la cuisine attenante baignés d’une lumière chaleureuse et la jeune femme ne put empêcher son esprit de faire la comparaison entre ici et l’ancien QG de l’Ordre.

Elle soupira de nouveau et balaya du regard la pièce désordonnée. Malgré le nombre des convives, ses yeux accrochèrent aussitôt ceux de Remus et elle sentit son cœur s’alléger lorsqu’il lui renvoya son sourire. Ils s’étaient quittés à peine une demi-heure plus tôt, sur le seuil de son appartement. Depuis sa sortie de Ste Mangouste, ils ne s’étaient plus séparés. A aucun moment elle n’aurait pu prévoir une telle réaction de sa part. Elle aurait pensé qu’après la mort de Sirius, il se serait renfermé sur lui-même… mais bien au contraire. Jamais il n’avait été aussi présent.

Passant d’un groupe à l’autre, elle salua chaque membre, faignant une assurance qu’elle n’avait pas. Elle ne cessait de croiser des regards navrés qui la renvoyaient inexorablement à son chagrin et elle fut soulagée de ne pas voir Severus Rogue ici. Elle n’aurait pas supporté de se retrouver confrontée à son visage odieusement réjoui.

Enfin, au bout de quelques minutes, Nymphadora rejoignit le dernier petit groupe constitué d’Arthur Weasley, de Minerva McGonagall et de Remus.

- Tu sembles fatiguée, s’inquiéta aussitôt le maître des lieux.

Tonks sentit avec une pointe de malaise le regard d’Arthur glisser sur son visage et elle se força à sourire.

- Ca va ! Je ne dors peut-être pas assez, c’est vrai, expliqua-t-elle en levant des yeux innocents vers Lupin.

Celui-ci eut la délicatesse de rougir et Nymphadora retrouva un peu de son enthousiasme en le voyant réprimer un sourire. Après ces quelques jours ensemble, si proches l’un de l’autre, elle aurait eu du mal à supporter son indifférence.

Pendant quelques minutes où Remus resta silencieux mais attentif, la jeune femme dût répondre aux questions soucieuses d’Arthur et de Minerva. Ce débordement de bons sentiments lui pesait de plus en plus et elle n’espérait plus qu’une chose : que cette journée à peine commencée prenne fin. Ce qu’elle acceptait volontiers de la part de Lupin, elle le supportait difficilement des autres et elle finit par détourner la conversation sur des sujets divers.

Ils entamaient une discussion animée sur Cornélius Fudge lorsqu’un brouhaha dans le jardin les fit se tourner vers la porte d’entrée, au moment même où Maugrey Fol Œil pénétrait dans la maison de son pas claudiquant. A ses sourcils froncés et à son « Bonjour… » grommelé, nul doute qu’il était de méchante humeur. Il s’approcha de la table de la cuisine à côté de laquelle Nymphadora se trouvait et jeta sèchement sur le meuble La Gazette du Sorcier.

- Grande nouvelle ! Sirius Black était innocent ! s’exclama-t-il, acide, avant de prendre une chaise et de s’y affaler. Ils ont mis le temps mais ils l’ont finalement réhabilité ! Ils ont juste un an de retard !

Glacée, Tonks se tourna vers le journal et découvrit en première page le visage souriant de son cousin. La gorge soudain trop étroite, elle observa le jeune homme qu’il avait été avant Azkaban, avec ses traits fins et harmonieux, son sourire espiègle et ses yeux pétillants de vie. La photo choisie pour cette réhabilitation post mortem était aux antipodes de celle qui avait longtemps recouvert les murs de la ville et les journaux du monde entier.

Le cœur au bord des lèvres, la jeune femme vit Sirius lui lancer un clin d’œil amusé et elle se détourna. Son regard se porta naturellement vers Remus qui fixait toujours la Gazette du Sorcier, immobile et choqué. Son visage était blême, ses poings crispés.

Nymphadora n’aurait pu prétendre qu’elle ne s’était pas attendue à vivre cette scène si malheureusement prévisible. Il était évident qu’après les derniers évènements survenus au Ministère, la vérité allait éclater… Mais le choc n’en n’était pas moins grand. Voir le visage si insouciant de Sirius, le regarder arborer un sourire si confiant en l’avenir, rendait la situation plus dramatique encore.

Revenant brusquement à lui, Remus s’arracha à la contemplation de l’article et s’éloigna de quelques pas. Tonks savait combien il répugnait à laisser transparaître le moindre sentiment, mais hormis elle, personne n’avait remarqué sa détresse. Tous les regards étaient encore rivés sur le journal.

Hésitante, la jeune femme rejoignit finalement Remus à l’écart et s’arrêta à ses côtés. Malgré son visage indifférent, elle sentait la tension qui l’habitait. Il souffrait, probablement plus qu’elle et, prise d’une soudaine impulsion, elle glissa une main réconfortante dans la sienne.

Elle regretta aussitôt son geste et se mordit vivement la lèvre, prête à subir un rejet, mais contre toute attente il répondit à son étreinte. Leurs doigts s’enlacèrent et Tonks sentit subitement ses yeux s’embuer.

Il ne la repoussait pas. Malgré la présence de l’Ordre tout autour d’eux, il serrait sa main avec force.

Elle leva alors la tête et croisa son regard grave, presque solennel. Il semblait à travers cet échange la remercier de son soutien et Nymphadora sentit son cœur battre soudain plus vite.

Désireuse de cacher un sourire naissant, elle baissa vivement la tête. Remus souffrait et elle eut honte de se sentir subitement si heureuse, si comblée. Sirius était mort quelques jours auparavant et tous pleuraient encore sa perte. Mais à cet instant précis, elle voyait son chagrin se désagréger. Elle savait ce sentiment éphémère. La réalité si sombre, si dure viendrait de nouveau tout balayer mais elle choisit de profiter pleinement de ces quelques miettes de bonheur.

Son regard accrocha leurs mains liées et elle observa avec curiosité les longs doigts puissants de Lupin mêlés aux siens, plus petits, plus pâles aussi. Elle aimait le contraste de cette étreinte. Elle aimait sa main d’homme emprisonnant la sienne, plus délicate.

Elle aurait souhaité garder cet instant en mémoire. Cet instant si essentiel où enfin il semblait accepter ses sentiments pour elle, l’importance qu’elle avait prise dans sa vie. Et pour la première fois depuis cette terrible nuit qui avait scellé les bases d’une relation incertaine, Tonks se prit à espérer.

La mort de Sirius les avait rapprochés. Elle avait brisé les murs derrière lesquels Remus se cachait. Tout devenait à présent possible.

Le front brûlant, elle resserra ses doigts autour de ceux de Lupin.

Elle se sentait bien.

Bien comme elle ne l’avait plus été depuis longtemps.

Mais l ’arrivée de Dumbledore mit un terme aux pensées de la jeune femme et elle préféra rompre elle-même leur étreinte avant de voir Remus s’écarter. Avec une pointe de curiosité, elle balaya la pièce du regard, se demandant si on les avait vus, mais l’attention de tous était déjà tournée vers le retardataire.

Dumbledore salua l’assemblée de sa voix douce et enjouée mais cela sonnait faux. Il avait les traits tirés et de larges cernes assombrissaient son regard bienveillant. Tonks n’aurait su dire si le combat qu’il avait livré contre Voldemort en était responsable, ou s’il s’agissait tout bonnement de son inquiétude grandissante pour Harry.

Voyant du coin de l’œil Remus rejoindre la cuisine, elle lui emboita le pas et peu à peu, tous les membres de l’Ordre prirent place autour de la table.

La réunion commença.

Tonks fut soulagée de voir Dumbledore éviter les derniers évènements survenus au Ministère. Mais le sujet avait déjà été abordé lors d’une réunion antérieure, alors qu’elle se trouvait encore à Ste Mangouste.

- A présent que le retour de Voldemort ne fait plus aucun doute, nous devons nous attendre à des attaques de grandes envergures, disait le vieux sorcier d’une voix qui trahissait la gravité de la situation. Voldemort restait relativement discret afin d’agir le plus longtemps possible dans l’ombre mais maintenant qu’il est découvert, il n’a plus aucune raison de ne pas faire parler de lui. Bien au contraire.

Son regard pâle parcourut l’assemblée.

- Kingsley, poursuivit-il en fixant l’Auror autrefois préposé à la recherche de Sirius Black. Je crois savoir que le Ministère songe à toi pour veiller sur le Premier Ministre.

Shacklebolt haussa les sourcils.

- Vraiment ? … Comment savez-vous… ?

Mais il se tut face au sourire énigmatique de Dumbledore.

- Et il serait bon que tu acceptes ce poste, lui répondit le vieux sorcier.

- Très bien.

Albus acquiesça avec satisfaction puis poursuivit :

- Comme c’était à prévoir, Fudge se fait attaquer de toutes parts…

- Et on ne va pas s’en plaindre, grommela Maugrey de sa voix bourrue. Quand donc va-t-il démissionner ?

- Dans peu de temps, je le pressens. Pour l’heure, il essaie d’entrer en contact avec Harry afin d’obtenir son soutien mais il est hors de question que cela se fasse. Harry n’a vraiment pas besoin de cela en ce moment.

Le regard de Dumbledore s’était fait plus dur et Tonks ferma un bref instant les yeux, cherchant à gérer une douleur soudaine. Elle se sentait nauséeuse. Depuis sa sortie de Ste Mangouste, Remus et elle n’avaient jamais reparlé de Sirius. C’était beaucoup trop tôt. Le sentiment de perte était encore trop présent. Mais aujourd’hui, la mort de son cousin ne cessait de revenir dans les conversations et elle n’en pouvait plus.

Elle écouta d’une oreille distraite le reste de la réunion et ne reprit vraiment contact avec la réalité que lorsqu’Alastor, assis à sa droite, prit de nouveau la parole.

- Eh bien nous allons nous en occuper ! Pas vrai ? lança-t-il en lui donnant un coup de coude dans les côtes.

La jeune femme sursauta et croisa le regard patient de Remus, parfaitement conscient qu’elle n’écoutait plus rien depuis plusieurs minutes.

- Je viendrai également, intervint-il alors. Harry sera content de nous voir à la descente du train.

Face à ce résumé inespéré, Tonks remercia Lupin d’un sourire puis acquiesça à son tour.

- J’en suis, bien sûr !

- Et puis ça nous permettra de dire deux mots aux Dursley ! dit Maugrey. Ils auront tout intérêt à ne pas martyriser le petit !

- Parfait, conclut Dumbledore en souriant. La réunion est terminée... Remus ? Je pourrais te voir en privé ?

La jeune femme qui se levait déjà, jeta un coup d’œil interrogateur vers Lupin mais celui-ci avait déjà hoché la tête et suivait le vieux sorcier en direction du salon. Un brouhaha s’était fait dès que Dumbledore avait annoncé la fin du conciliabule et Colin vint de suite à sa rencontre. Elle ne l’avait pas revu depuis sa visite à Ste Mangouste et pour être franche, elle l’avait tout simplement évité. Hormis Remus, elle n’avait voulu voir personne et Colin l’avait accepté sans rechigner.

- Comment te sens-tu ? demanda-t-il gentiment.

- Ça va, fit-elle en haussant les épaules. Pas vraiment mieux, mais pas pire non plus.

- Tu veux en parler ?

La jeune femme secoua la tête et se tourna vers Dumbledore et Remus, qui discutaient à l’autre bout de la pièce.

- Je ne préfère pas, répondit-elle. Pas encore, tout du moins.

Elle fronça les sourcils.

Lupin était particulièrement pâle et dans un geste familier d’affliction, il passa une main tremblante sur sa nuque. De quel sujet les deux hommes pouvaient-ils bien s’entretenir ?

Colin continuait de parler mais elle ne l’écoutait plus. Elle venait de croiser le regard de Remus. Un regard ampli de gravité. Le cœur soudain serré d’appréhension, la jeune femme esquissa un sourire encourageant mais il ne le lui rendit pas et se détourna.

- Tonks ?... Tonks ?

La voix de son meilleur ami lui parvint et elle leva les yeux vers lui. Elle grimaça un sourire d’excuse mais son estomac restait douloureusement serré.

Elle avait soudain un mauvais pressentiment.

 

*****

 

Remus esquissa un sourire forcé puis suivit du regard Dumbledore qui s’éloignait. Il sentait parfaitement les yeux de Nymphadora posés sur lui mais il n’avait pas encore le courage de lui faire face. Il se tourna donc vers la cheminée du salon et posa une main lourde sur le manteau au bois usé.

Aucun feu ne brûlait dans l’âtre en cette fin de mois de Juin mais quelle importance ? Remus ne voyait rien. Il ne sentait rien. Rien d’autre que le vide et la peur du vide. La perte aussi, toujours si présente.

Son corps lui semblait peser une tonne tant la douleur faisait partie de lui. La mort de Sirius était difficile à gérer, surtout après avoir eu le bonheur inattendu de le retrouver. Mais savoir que dans un avenir proche, très proche, il allait également devoir se séparer de Nymphadora… tout cela lui semblait impossible à surmonter.

Mais il le ferait, comme il l’avait toujours fait jusqu’ici. Il lui fallait juste un peu de temps. Encore quelques heures à vivre ce qu’il se refusait à avoir. Ce qu’il refusait à imposer.

Encore un peu.

Remus arracha son regard à la cheminée et se tourna vers Tonks. Comme il s’y était attendu, elle l’observait, écoutant d’une oreille distraite son ami Colin. Ses boucles roses avaient retrouvé en parti leur éclat, lui prouvant que peu à peu elle surmontait son chagrin. Mais parviendrait-elle à supporter un nouvel abandon ?

La douleur sous ses côtes devint intolérable.

Et si pour une fois, il acceptait ce qui lui était offert ? Et s’il se donnait la chance de vivre pour lui et non pour les autres ?

Son regard détailla le visage inquiet de la jeune femme. Ce joli visage en cœur, si jeune, si pur.

Si innocent.

Remus soupira.

Non, il ne le pouvait pas. Et il avait de multiples raisons pour cela.

« Trop vieux, trop pauvre, trop dangereux. »

Cette phrase martelait son esprit comme un litanie sans fin depuis plusieurs mois. Dès l’instant qu’il posait les yeux sur Nymphadora, elle s’imposait à lui.

« Trop vieux, trop pauvre, trop dangereux. »

Encore et encore.

Mais malgré cela, il y avait une autre raison qui, avec la mort de Sirius était venu gonfler cette liste redondante.

Aimer en ces temps obscurs était totalement irréfléchi. La perte étant quasi inévitable, la douleur l’était tout autant, et pour un homme habitué à repousser toute forme d’émotion, « ressentir » si fort devenait insupportable.

Il devait mettre un terme à tout cela.

Remus ferma les yeux un bref instant puis se redressa. Lorsqu’il croisa de nouveau le regard de la jeune femme, il lui rendit son sourire et se dirigea vers elle.

- Je ne vous dérange pas, demanda-t-il en jetant un coup d’œil vers Colin avant de reporter son attention sur Nymphadora.

- Du tout, s’empressa-t-elle de répondre. Que te voulait Dumbledore ?

Remus haussa les épaules.

- Je t’en parlerai plus tard. Tu reprends le travail quand ?

- Après-demain.

- Tu avais prévu quelque chose aujourd’hui ?

La jeune femme sembla se troubler.

- Pas vraiment, je comptais rentrer directement.

Elle ouvrit la bouche pour poursuivre mais s’avisant qu’ils n’étaient pas seuls, elle préféra se taire et leva seulement un regard interrogateur vers lui.

Remus hésita également mais trouva inutile de se cacher plus longtemps. Il était évident que Colin savait pour eux.

- Je viens avec toi, dit-il finalement à la jeune femme.

Celle-ci esquissa un sourire ravi puis tous deux prirent congés de Wilkes. Il fallut traverser la maison et saluer un par un les membres de l’Ordre puis enfin, ils transplanèrent.

A peine étaient-ils en sécurité dans l’appartement de Tonks que Remus embrassait la jeune femme avec une urgence coupable. Il n’aimait pas se jouer d’elle. Il n’aimait pas être le seul à savoir qu’aujourd’hui serait leur dernier jour ensemble. Que cette nuit serait la dernière.

Il n’aimait pas voir le bonheur sincère de Nymphadora tout en sachant que dans quelques heures, il allait le lui ôter.

Mais il était lâche. Faible.

Pour quelques heures encore, il voulait tout oublier.

 

 

A SUIVRE...