LUNARD

 

Chapitre 3


Un soupir pourtant léger le sortit lentement de son sommeil et Remus ouvrit péniblement les yeux. Chaque parcelle de son corps le faisait cruellement souffrir mais il ne s’en alarma pas. On ne pouvait guère espérer autre chose lorsqu’on subissait une transformation et cette douleur ne lui était que trop familière. Les organes s’étiraient, se déformaient. Les muscles tendus à l’extrême se déchiraient sous la pression. Et bien que la nature même imparfaite du Loup-garou parvenait à gérer cette mutation, il n’en restait pas moins des séquelles qui mettaient plusieurs jours à disparaître totalement.

Mais à l’inverse de bien des réveils, Remus n’était pas allongé nu sur un sol dur et glacé. Bien au contraire, il se trouvait confortablement installé dans son lit, sous une chaude couverture de laine.

Dans un geste lent et précautionneux, il tourna la tête et découvrit Sirius un peu à l’écart, affalé dans un fauteuil usé. Black avait tourné son siège de telle sorte qu’il pouvait à la fois surveiller son ami et observer l’extérieur à travers les vitres de la fenêtre. Pour l’heure, il regardait d’un œil morne les lourds nuages se mouvoir lentement dans le ciel.

Il n’était pas utile d’être devin pour connaître les raisons d’une telle mine. Sirius se sentait coupable d’avoir failli, hier soir. Sans compter que, les fêtes passées, le 12 Square Grimmaurd allait se désemplir, laissant de nouveau seul le maître des lieux. Certes, Remus vivait dans la maison des Black depuis quelques mois maintenant, mais il passait la plus grande partie de son temps dehors, en mission, et ne pouvait guère aider Sirius à supporter sa solitude.

Au bout d’un instant de silence, Lupin finit par se racler la gorge afin d’attirer l’attention de son ami. Un faible sourire apparut sur les lèvres de Black.

- Ca va ? demanda-t-il.

- Fatigué, répondit Remus d’une voix rauque.

Sa gorge le faisait souffrir. D’avoir hurlé trop fort, peut-être.

Sirius se leva.

- Je vais te chercher de quoi manger un peu. Je t’ai mis ton pyjama à côté de toi.

Remus tourna la tête et découvrit le vêtement plié sur le lit.

- Merci.

Black acquiesça sobrement et sortit.

La mâchoire crispée, Lupin se redressa tant bien que mal en prenant appui sur ses avant-bras douloureux et la couverture glissa légèrement, dévoilant en partie sa nudité.

Il détestait le réveil. Il détestait se sentir perdu, nu et vulnérable. La constitution du loup-garou rendait la transformation supportable. En revanche, lors du processus inverse, lorsque le corps redevenait celui d’un homme fatigué par de trop nombreuses métamorphoses, la douleur était telle qu’il s’évanouissait.

Remus se souvenait de la présence de Sirius à ses côtés, tandis que l’aube apparaissait. Il se souvenait de la couverture qu’il tenait déjà entre ses mains pour le couvrir.

Cette situation humiliante, il l’avait vécue de trop nombreuses fois et l’idée d’avoir pour témoin une autre personne que Patmol lui était intolérable.

Alors Tonks… C’était tout simplement impensable.

Quelques minutes plus tard, lorsque Sirius revint avec un plateau repas dans les mains, Remus était parvenu à enfiler son pyjama et avait rajusté les oreillers dans son dos afin de rendre sa position assise plus supportable.

Black posa les victuailles devant lui et Lupin haussa les sourcils.

- Tu avais dit « un peu ».

- Ce sont les restes du repas d’hier, expliqua Sirius en rejoignant son fauteuil.

Le plateau était plein à raz-bord de pâtés, viandes, pommes de terre, légumes… sans oublier plusieurs parts de gâteau que son ami avait empilées savamment pour permettre une meilleure économie d’espace.

- J’ai oublié la boisson, maugréa Sirius en sortant sa baguette.

Quelques secondes plus tard, un verre et un pichet apparaissaient et venaient se poser sur la petite table de chevet. Lupin se servit aussitôt un peu de vin, jetant de fréquents coups d’œil vers son ami à la triste figure.

Au bout d’un long silence, Remus finit par soupirer.

- Vas-y, si ça peut te faire du bien.

Sirius leva les yeux vers lui.

- Je suis désolé, dit-il vivement.

- Tu me l’as déjà dit … un bon milliard de fois. Et je t’ai répondu… ou tout du moins, je t’ai grogné un bon milliard de fois aussi que ce n’était pas grave.

Cette pointe d’humour ne dérida pas pour autant son ami et Lupin poursuivit :

- Tu ne pouvais pas prévoir.

- J’aurais dû la surveiller de plus près. J’ai été…

- Occupé, finit Remus pour lui mais Sirius répliqua durement :

- Négligeant.

- Non, occupé. Tu as été pris par la fête. Franchement, qui te le reprocherait après ces mois enfermé seul dans cette maison ? Certainement pas moi… Alors arrête de culpabiliser.

Comme Sirius restait silencieux, Lupin insista :

- Et je te remercie de l’avoir faite sortir. Sincèrement.

Ils échangèrent un regard et Black soupira.

- Mouais, grommela-t-il. Elle est en bas et fait le pied de grue pour te voir. J’ai dû la stupéfixer pour l’empêcher de monter jusqu’ici.

Remus esquissa un sourire amusé mais celui-ci faiblit devant la mine sérieuse de son ami. Cependant, préférant nier les soupçons qui germaient dans son esprit, il se contenta de répondre :

- Pas aujourd’hui.

- Très bien. Mais tu sais combien elle est butée. Elle ne te fichera pas la paix tant que vous n’aurez pas parlé.

- Je sais.

Oui, il le savait, mais il ne se sentait pas capable de la voir aujourd’hui. Ni le lendemain, d’ailleurs, mais avait-il le choix ?

Préférant éviter de trop songer à la nuit dernière et au profond sentiment de honte qui ne le quittait plus, il demanda :

- Et cette soirée ? C’était bien ?

Le regard lugubre et coupable que lui lança Sirius lui fit rajouter vivement :

- … hormis l’indiscrétion de Tonks.

- … Mmm. Les jumeaux ont été insupportables, comme d’habitude.

- Ça a dû contribuer à la bonne ambiance, non ? insista-t-il en se coupant un morceau de pain.

- On peut voir ça comme ça, je suppose.

Remus esquissa un sourire. Lorsque Sirius était d’humeur à ronchonner, il ne le faisait pas à moitié.

- Tu es d’une mauvaise foi à toute épreuve, dit-il doucement.

- Je sais, bougonna Black. C’est ce qui fait mon charme.

- En tout cas, les autres ont eu l’air d’apprécier la soirée. Il faut croire que tu es malgré tout un hôte agréable, lorsque tu le veux, taquina Lupin.

Sirius s’affala un peu plus sur son fauteuil et allongea ses longues jambes devant lui.

- C’est facile de s’amuser. Mais qui va rester ici pour nettoyer et ranger ?

- Deux petits coups de baguette et ta maison sera comme avant. Je t’aiderai si tu veux.

- Non, répliqua aussitôt Black. Tu dois te reposer. De toute façon, je n’ai rien d’autre à faire…

Remus finit d’avaler sa bouchée avant de répliquer, l’air de rien :

- Alors n’oublie pas de mettre un tablier. Je crois que Molly en laisse toujours un dans la cuisine.

Le regard hostile de Sirius le transperça et Lupin sourit.

- Allez ! Vois le bon côté des choses !... Avec cet entrainement, d’ici un an, tu seras « bonne » à marier.

Patmol se mit brusquement sur ses pieds et pointa un doigt dans sa direction.

- Tu sais que le dernier à m’avoir dit ça n’est plus en état de procréer ? menaça-t-il, avec cependant une lueur amusée dans les yeux. Bon, je te laisse manger. Je repasserai plus tard, le ménage m’attend !

Il s’avança d’un pas lourd vers la porte mais s’arrêta un bref instant sur le seuil.

- Après tout… je dois mériter ma place au sein de l’Ordre, ironisa-t-il, avant de sortir.

Un pâle sourire apparut sur les lèvres de Remus mais dès que la porte se fut refermée, Lupin se rembrunit. Dans un soupir, il reporta son attention sur son plateau plein à craquer et entreprit de s’occuper l’esprit en mangeant mais sa soudaine solitude ne l’aidait guère.

« Je t’en prie… ça n’a pas d’importance… Arrête, s’il te plait… »

Depuis qu’il était éveillé, il luttait sans relâche contre ces pensées, ces souvenirs. Il préférait ne se rappeler que de sa honte car le reste ne l’aiderait pas à tenir Tonks éloignée de lui.

Avec une vigueur qui lui arracha une grimace de douleur, il entreprit de se resservir un peu de pommes de terre et la cuillère émit un claquement sonore contre la faïence de son assiette.

« Je ne partirai pas ! »

Il enfourna une bouchée dans le vain espoir de s’étrangler avec, cherchant le moyen de balayer ces paroles qui ne cessaient de revenir en force dans son esprit mais…

« Ca n’a aucune importance pour moi, Remus. Je veux que tu le comprennes bien. »

- C’est pas vrai, grommela-t-il avec agacement avant de repousser son plateau.

De toute façon, il n’avait pas faim. Son estomac restait contracté depuis la veille au soir et cela n’avait rien à voir avec sa transformation.

Jamais il ne s’était senti si partagé.

Oui, il était mortifié. Mortifié au point de se dire que jamais plus il ne pourrait supporter de se retrouver en face de Nymphadora Tonks. Et pourtant… une partie de lui se sentait soulagée.

Elle savait et ne l’avait pas rejeté.

Alors bien sûr, cela ne changeait absolument rien à son désir de la garder éloignée de lui mais il ne pouvait s’empêcher de ressentir ses paroles comme autant de baume sur ses blessures. Il ne lui répugnait pas comme lui-même se répugnait. Elle ne haïssait pas cette moitié de lui comme lui-même la haïssait.

Alors oui, il se sentait soulagé. Soulagé de ne pas avoir à supporter sa pitié ou son dégoût.

Mais…

« Il aurait mieux valu qu’il ne s’en sorte pas. Ce n’est pas une vie, ça ! ».

Mais voilà.

Jamais il ne pourrait oublier cela.

 

******************************

 

Le lendemain matin, Remus n’était guère au mieux de sa forme mais suffisamment remis cependant, pour escorter les enfants jusqu’à Poudlard. L’Ordre manquait cruellement d’effectifs aussi était-il contraint de taire la douleur lancinante qui traversait son corps à chaque mouvement. Il était pourtant content de quitter sa chambre aux murs défraichis et au souvenir pesant, mais la perspective de croiser Tonks freinait son enthousiasme. Ce fut donc avec une certaine appréhension qu’il descendit les escaliers et gagna la cuisine.

Mondingus s’était invité au petit déjeuner et les discussions allaient bon train entre les membres de l’Ordre. Dans le brouhaha ambiant, personne ne sembla remarquer l’arrivée de Lupin. Personne sauf Tonks.

Elle l’observa se glisser discrètement à table et tenta de capter son regard, mais ce fut peine perdue, comme souvent ces derniers temps. A peine attablé, il avait focalisé son attention sur sa tasse de café, et ce ne fut qu’à l’approche de Sirius qu’il daigna relever la tête.

Le souhait de Remus de ne pas la voir le lendemain même de sa découverte n’avait pas surpris Tonks. Avec du recul et une nuit blanche à ressasser les derniers évènements, elle avait compris le comportement de Lupin et la colère de Sirius. Son impulsivité lui avait souvent été reprochée - un trait de famille, à n’en pas douter – et elle regrettait d’avoir mis Remus dans une situation qu’il avait estimé gênante. Voir peut-être même humiliante.

Alors oui, elle regrettait… mais pas complètement !

Après tout, grâce à cela, elle savait enfin pourquoi Lupin ne cessait de la repousser depuis plusieurs semaines, et elle allait pouvoir agir. Et surtout… se faire pardonner.

« Et maintenant, une fois par mois, ce brave homme n'aura plus qu'en tête de croquer le premier venu… Il aurait mieux valu qu'il ne s'en sorte pas. Ce n'est pas une vie, ça ! »

Comme elle pouvait détester ces paroles malheureuses ! Que ne ferait-elle pour revenir en arrière et fermer son clapet au lieu de débiter des imbécilités pareilles !

Mais c’était le genre de commentaire gratuit que l’on faisait sans réellement y songer. Une remarque qu’on jugeait anodine sur un sujet certes grave mais qui ne vous touchait pas personnellement et donc qui ne justifiait pas de pudeur. Ni de prudence.

Bien sûr que ce brave homme méritait de vivre ! Bien sûr que la vie de Remus méritait d’être vécue !

Tonks se souvenait du visage blême de Lupin après ces propos irréfléchis et elle se haïssait de l’avoir ainsi blessé. Alors elle n’avait plus qu’une hâte, à présent : être enfin seule avec lui afin de lui expliquer que pour elle, rien n’avait changé, que ses sentiments étaient les mêmes.

Les yeux de Nymphadora se posèrent sur Remus qui refusait toujours catégoriquement de croiser son regard et sa gorge se serra.

Non. Au contraire, tout avait changé.

Si elle doutait encore de l’importance de cet homme dans sa vie, aujourd’hui le doute n’était plus permis. Il ne s’agissait plus d’un simple béguin. Et encore moins d’un caprice.

Elle l’aimait.

Alors il pouvait l’ignorer s’il le souhaitait, mais ce comportement ne l’empêcherait pas de parler avec lui de ce qui s’était passé. Avec ou sans son consentement ! conclut mentalement la jeune femme en finissant d’un trait son café.

Les conversations de l’Ordre cessèrent lorsque les enfants pénétrèrent dans la cuisine et après un petit déjeuner copieux tout le monde se leva.

Il était prévu de longue date que Tonks et Remus accompagneraient les enfants jusqu’à Poudlard, mais la distance qu’il avait mise entre eux n’allait pas rendre cette mission des plus agréables.

Pour passer inaperçue dans les rues de Londres, la jeune femme avait adopté un look « vieille institutrice », cheveux gris coiffés en chignon et un tailleur d’une sobriété qui ne lui était pas coutumière et elle aurait juré avoir vu Lupin esquisser un sourire lorsqu’elle s’était transformée. Pendant le trajet les menant tous à Poudlard, Tonks avait dû cependant reléguer ses problèmes au second plan afin de rester le plus concentrée possible sur sa mission. Remus n’étant pas au mieux de sa forme, il lui incombait à elle de faire preuve de deux fois plus de vigilance et de veiller à la sécurité des enfants.

Heureusement, le voyage se passa bien mais ce fut avec soulagement que Remus et elle virent le Magicobus s’arrêter enfin devant les grilles de l’imposante école. Les saluts d’usage terminés, ils attendirent de voir les enfants à l’abri dans l’enceinte de Poudlard pour donner le signal du départ. Après avoir indiqué leur nouvelle destination au chauffeur, Tonks n’avait pu s’empêcher de sourire en voyant que Remus s’était réfugié au fond du bus. Elle était persuadée qu’il aurait encore préféré rentrer à pied, façon Moldu, plutôt que d’être en sa compagnie.

Soupirant avec force afin de se donner du courage, elle décida d’ignorer les états d’âme de Lupin ainsi que le regard contrarié qu’il lui lança à son approche, et lui offrit son plus beau sourire en prenant place à ses côtés.

- Mission accomplie. Les enfants sont en sécurité, lâcha Tonks, dès qu’elle fut assise.

Remus se contenta d’approuver d’un signe de tête. Il connaissait suffisamment la jeune femme pour savoir que le silence qu’il lui opposait depuis le début de la mission perdrait de son efficacité, maintenant qu’ils étaient seuls. Mais le souvenir de leur dernier face à face était encore trop vivace et bien qu’il se doutât qu’elle essaierait de lui en parler, il n’était pas disposé à lui faciliter la tâche.

- Tu as l’air épuisé, tu te sens bien ?

- Ca va, mentit Lupin, chaque muscle de son corps criant le contraire.

Le regard fuyant, il sentait celui de la jeune femme glisser sur son visage fermé et l’entendit bientôt soupirer d’exaspération.

- Tu comptes jouer à ce petit jeu longtemps ?

- Excuse-moi ?

- Tu sais, le jeu du « j’évite Tonks »…

- On a déjà eu cette discussion, non ? Et il me semble t’avoir déjà répondue.

- Non, non, non, tu n’as rien répondu, tu t’es esquivé ! dit-elle en agitant sous son nez un doigt agacé afin d’attirer vraisemblablement son attention.

- Le moment n’était pas opportun pour ce genre de … conversation, se contenta-t-il d’expliquer sans se tourner pour autant vers Tonks.

- Je te signale que si tu ne passais pas ton temps à me fuir, j’aurais sûrement eu l’occasion de te parler à un « moment opportun », rétorqua-t-elle en haussant légèrement la voix.

Embarrassé, Remus jeta un rapide coup d’œil vers une vieille dame assise non loin d’eux et qui, bien que leur tournant le dos, semblait imperceptiblement tendre l’oreille dans leur direction. Il se pencha donc vers Tonks et lança tout bas :

- T’est-il déjà venu à l’esprit que je n’avais peut-être pas envie d’aborder certains sujets avec toi ?

- ça veut dire quoi ça ?

- Rien, répondit-il, regrettant déjà de lui avoir posé cette question.

Lui, qui voulait plus que tout éviter le sujet, venait de lui offrir une brèche où s’engouffrer. Et elle ne mit qu’un instant à s’exécuter…

- Pas de ça avec moi, « Monsieur je transplane plus vite que mon ombre » ! Tu vas t’expliquer et tout de suite. Moment opportun ou pas !

- Tu pourrais parler moins fort ? demanda vivement Remus en voyant les passagers du bus se tourner vers eux.

- Hum, je ne sais pas, apparemment, c’est la seule façon que j’ai pour retenir ton attention… répliqua Tonks en croisant les bras.

Lupin sentit son irritation croître en observant la femme assise à proximité tendre un peu plus le cou. Allait-il donc être obligé d’avoir cette discussion ici, au milieu d’oreilles indiscrètes ? Allait-il devoir parler de sa nature hybride en public ?

- Il n’y a rien à expliquer, finit-il par lâcher froidement, désireux de couper court à cette situation qu’il jugeait humiliante. Tu sais maintenant ce que je suis. La discussion est close.

- Oh non, elle n’est pas close ! Si elle l’était, nous serions tous les deux sur le point de rejoindre mon appartement, dit-elle sans la moindre pudeur.

Face à ces propos directs et dénués d’ambigüité, Remus sentit son cœur s’emballer. Les mains moites, il tenta de chasser de son esprit les images que les paroles de Tonks avaient inévitablement créées. Jusqu’ici, il ne s’était jamais permis le moindre fantasme mais en l’espace d’un instant, son esprit fut assailli.

- Je t’ai dit que ça n’avait aucune importance pour moi, reprit la jeune femme avec fougue. Pas la moindre ! Que faut-il que je fasse pour que tu me croies ?

Malgré son trouble persistant, un sourire désabusé apparut sur les lèvres de Lupin et il préféra se murer dans un silence glacial.

« Il aurait mieux valu qu'il ne s'en sorte pas. Ce n'est pas une vie, ça ! »

Voilà la seule chose qu’il devait avoir à l’esprit. La seule chose à laquelle il devait penser.

Mais la main de Tonks vint timidement se poser sur la sienne et Remus ferma les yeux.

- Arrête, Nymphadora, souffla-t-il en se dégageant.

- Non ! Je ne vois pas pourquoi tu t’obstines, comme ça !

Elle sembla hésiter quelques secondes puis enchaîna :

- Si ça a un rapport avec ce que j’ai dit à l’hôpital… je m’en excuse. Je ne voulais pas te blesser, je ne me rendais pas compte. Je ne le pensais pas, Remus, je te le jure.

- Mais tu avais raison, lâcha-t-il au bout d’un instant de silence.

Son regard décidé venait d’accrocher celui suppliant de la jeune femme.

- Ce n’est pas une vie. Et encore moins une vie pour toi.

- Ça, c’est à moi d’en décider. Pas à toi.

Mais Remus secoua la tête, exaspéré.

- Tu ne comprends pas. J’ai accepté ma condition et la vie solitaire qui va avec.

- Peut-être, mais tu as fait ce choix parce que tu n’avais pas quelqu’un d’aussi charmant que moi à tes côtés ! répliqua-t-elle, un sourire volontairement lumineux sur les lèvres.

Puis, semblant se souvenir de l’aspect qu’elle avait revêtu pour leur mission, Tonks plissa son long nez fin et la vieille institutrice fit soudain place à la jeune et pétillante jeune femme. Une nouvelle bouffée d’envie saisit Lupin à la gorge et ses poings se crispèrent dans les poches de son manteau.

Avoir Tonks à ses côtés. Vivre une véritable relation avec elle.

- Et tu feras quoi, les soirs de Pleine Lune ? demanda-t-il dans un souffle.

- Je te taquinerai pour te changer les idées et tu me jetteras des objets à la figure, comme tu le fais avec Sirius.

- Je suis sérieux ! s’emporta Lupin malgré lui.

Il étouffait.

Où était passé son flegme légendaire ? Où était sa patience proverbiale ?

Il tremblait, il écumait. Il voulait fuir. Encore une fois. Il voulait fuir les émotions qu’elle faisait naître en lui et qu’il se refusait à avoir.

- Je suis sérieux… répéta-t-il, cherchant à faire taire le sentiment de panique qui l’étreignait.

- Mais moi aussi ! Enfin Remus, que crains-tu ?

Ce qu’il craignait ?

- Je pourrais te blesser…

- Tu oublies que je suis une grande fille, doublée d’un redoutable Auror ! indiqua-t-elle avec une pointe de fausse arrogance. Et puis, de toi à moi, tu sais pertinemment que tu ne me feras rien.

- Il n’en demeure pas moins que ce n’est pas une vie idéale pour... une jeune femme.

Tonks fronça les sourcils avant de s’adosser à son siège, un sourire ironique sur les lèvres.

- Allons donc… « Une jeune femme » ? Est-ce que par hasard, ce serait au tour de mon âge d’être en cause ? demanda-t-elle.

La raillerie présente dans la voix de Nymphadora l’irrita. Que croyait-elle ? Que cette situation l’amusait ? Qu’ils jouaient ?

- J’ai presque le double de ton âge. Je pourrais être ton…

- Non ! le coupa-t-elle aussitôt, furieuse. Je t’arrête tout de suite ! Je ne veux même pas entendre l’idiotie que tu t’apprêtes à me dire. Il n’y a que toi pour te soucier de ce genre de chose.

- Oh, je t’en prie, Nymphadora… soupira-t-il, soudain excédé. Il n’y a pas d’avenir pour nous deux. Je suis trop vieux et trop dangereux pour toi. C’est tout ce qu’il y a à savoir.

-Arrête avec ça ! Je croyais avoir été claire sur ce point. JE décide de ce qui est bon pour moi. D’accord ?

Mais brusquement, le regard de la jeune femme se troubla. Elle sembla hésiter un bref instant puis enchaîna vivement, en se tapant théâtralement le front :

- Oh mais ça y est, j’ai compris… En fait tu ne veux pas t’engager sur le long terme !

Surpris, il s’empressa de la contredire :

- Mais non, pas du tout ! Je n’ai jamais rien dit de tel, rétorqua-t-il, avant de réaliser combien il aurait été judicieux de prétendre le contraire.

Il aurait eu, ainsi, une bonne raison de repousser Tonks et toute cette histoire aurait enfin été finie.

- Si, si, je suis sûre que c’est ça qui te freine, continua la jeune femme. Ça tombe bien tu sais, je n’aime pas trop les habitudes ni la routine du quotidien.

La gorge de Lupin se serra soudainement et il observa avec attention le visage souriant de Nymphadora. Pourquoi disait-elle cela ? Où voulait-elle en venir ?

- Je ne comprends pas… bredouilla-t-il.

- Allons, inutile de nier ! dit-elle avec entrain. On vient enfin de trouver un terrain d’entente ! Aucun engagement, juste deux adultes consentants qui s’amusent un peu de temps en temps.

Remus eut l’impression de perdre pieds.

Voilà donc ce qu’elle voulait de lui. Une relation sans lendemain. Quelques nuits ensemble, tout au plus.

La gorge serrée, il se détourna, cherchant à cacher au mieux la douleur soudaine qui venait de le saisir. Il ne sentait plus ses muscles courbaturés. Il ne sentait plus la fatigue de ses membres affaiblis. Seul son cœur s’imposait à lui.

Quel idiot. Comment avait-il pu croire qu’elle ressentait quelque chose de particulier pour lui ? Il n’était rien d’autre qu’un fantasme, un caprice. Il n’était que passager.

A quel moment s’était-il fait piéger ? Avait-il seulement écouté ce qu’elle lui disait ?

Après tout, elle n’avait rien à se reprocher. Il était seul à s’être fait des idées. Il avait pris son intérêt pour des sentiments sans jamais songer qu’il ne s’agissait là que d’une simple toquade. A quoi donc aurait-il dû s’attendre ? Il était pauvre. Il était vieux, même plus que son âge… Comment une jeune femme comme Nymphadora Tonks aurait-elle pu tomber amoureuse d’un homme tel que lui ?

- Alors ? intervint-elle, en sourire en coin. Ça te dirait qu’on se voit ce soir ? Mais peut-être ne te sens-tu pas assez bien. On pourrait attendre la fin de la semaine. Qu’en dis-tu ?

S’il n’avait pas eu aussi mal, Remus aurait presque ri.

Il avait repoussé Nymphadora parce qu’il ne voulait pas d’une relation à long terme. Parce qu’il estimait qu’elle méritait mieux… Et il allait de nouveau la repousser, mais cette fois-ci parce qu’elle lui proposait une relation sans lendemain. Parce que ce n’était pas ce qu’il désirait. Parce qu’au fond de lui… il voulait plus.

« Tu es pathétique… » soupira-t-il intérieurement.

- C’est non, Nymphadora. Pour la dernière fois, je veux que tu arrêtes, parvint-il à articuler.

Un claquement de langue exaspéré lui parvint mais il resta obstinément fermé. Le Magicobus s’arrêta brusquement et Stan Rocade s’approcha de la femme âgée assise non loin d’eux afin de l’aider se lever.

- On est arrivé chez vous, ma p’tite dame !

- Déjà ?… C’est bien dommage… dit-elle de sa voix chevrotante, en jetant un bref coup d’œil vers eux.

Remus se détourna. Compte tenu de son état d’esprit actuel, l’idée de jouer les divertissements ne faisait qu’assombrir davantage son humeur. Perdu dans ses mornes pensées, il sursauta lorsqu’une main se faufila à l’intérieur de son manteau. Il se redressa et chercha machinalement à écarter l’intruse mais Tonks se dégagea de sa poigne et posa fermement la paume de sa main contre son cœur. Trop troublé pour parvenir à la repousser une seconde fois, il retint sa respiration lorsqu’elle attira son visage à quelques centimètres à peine du sien.

- … Qu’est-ce que tu fais… ? souffla-t-il, le front brûlant.

Mais la jeune femme ne dit rien et se contenta de l’observer, ses lèvres désespérément proches des siennes.

Il allait mourir.

Pourquoi ne l’écartait-il pas de lui ? Pourquoi son corps refusait de bouger ?

Pourquoi se contentait-elle de le regarder ?

Leurs nez se frôlèrent et Remus ferma les yeux, cherchant à reprendre le contrôle sur ses sens. Mais il avait envie de sentir sa bouche caresser la sienne, il avait envie de plonger ses doigts dans ses cheveux soyeux. Il avait envie… Non. Il avait besoin de presser son corps contre le sien.

Lorsqu’il rouvrit les yeux, Tonks l’observait toujours mais un léger sourire étirait à présent ses lèvres.

Les portes du Magicobus se refermèrent et la brusque accélération les écarta l’un de l’autre.

Le souffle court, Lupin resserra les pans de son manteau, le torse brûlant là où, quelques secondes auparavant, la main de Tonks se trouvait.

- C’est pour cela que je n’abandonnerai pas, dit-elle alors. Parce que ton cœur devient fou, lorsque je suis à côté de toi. Tu peux dire tout ce que tu veux, Remus. Tu peux prétendre ne rien ressentir, ne pas avoir envie…

Nymphadora s’arrêta quelques secondes et leurs regards se croisèrent.

- … Mais je sais que tu mens.

 

 

 

A SUIVRE...