Lupin transplana à quelques pâtés de maison du manoir des Malefoy, à l’endroit même de leur rendez-vous. D’ordinaire, lorsque la mission était importante, Tonks n’était jamais en retard mais qu’en serait-il, aujourd’hui ? Son animosité grandissante pour lui n’allait-elle pas avoir un impact direct sur son professionnalisme ? Il en était encore à cette réflexion qu’un craquement significatif lui apprit l’arrivée d’un sorcier. Les doigts de Remus se crispèrent sur sa baguette mais l’homme se détendit en reconnaissant la silhouette élancée de Nymphadora. Celle-ci ne lui jeta qu’un vague coup d’œil avant de passer sous son nez et poursuivre sa route en direction du manoir des Malefoy.
Soupirant discrètement afin de calmer les battements désordonnés de son cœur, il lui emboita vivement le pas et lança un « Bonsoir ! » qu’il voulut enjoué.
- … ‘soir… maugréa-t-elle contre toute attente.
Il s’était davantage attendu à un silence boudeur de sa part. Elle dut lire dans ses pensées car elle poursuivit, la mâchoire crispée :
- … Sache que je te réponds uniquement parce que ma mère m’a inculqué la politesse.
- C’est déjà un début, dit-il avec un entrain forcé.
Nymphadora marqua un bref silence avant de répliquer avec une note évidente de raillerie dans la voix :
- Toujours égal à toi-même, hein ! … C’est rassurant en un sens.
- … C'est-à-dire ? demanda-t-il avec une certaine appréhension.
- Tu te contentes toujours de peu.
Un sourire aux allures de grimace étira les lèvres de Remus.
- Charmante, vraiment… Enfin, au moins tu me parles.
Pour seule réponse, la jeune femme lui lança un regard réfrigérant et le couple fit le reste du chemin dans un silence pesant.
Lupin n’aurait su dire si ce court échange était ou non positif. Certes, elle s’était montrée très froide mais il préférait une bonne prise de bec plutôt qu’être totalement ignoré. Il préférait l’entendre rouspéter, même s’il n’était guère dans sa nature à lui de mettre de l’huile sur le feu, plutôt que de la voir totalement fermée.
Comme c’était le cas, à cet instant précis.
Il jeta un énième coup d’œil sur le visage pâle de la jeune femme. Il n’y avait ni cernes, ni preuve physique que ces derniers jours avaient été particulièrement difficiles mais elle avait très bien pu utiliser ses dons de métamorphage pour masquer cela. La couleur ébène de ses cheveux était celle que Nymphadora utilisait d’ordinaire en mission mais Remus savait qu’elle en avait fait son quotidien pour l’avoir vu ainsi coiffée lors des réunions journalières de l’Ordre.
A n’en pas douter, cette teinte peu courante pour une femme comme Tonks donnait un aperçu assez évident de son humeur.
Arrivant à proximité du manoir, le couple ralentit l’allure et d’un signe de la main, Remus indiqua à la jeune femme le meilleur endroit pour une surveillance optimale de l’entrée. A l’extrémité Nord de la ville, la demeure des Malefoy était en partie isolée de ses voisins par un immense mur de pierres entourant la totalité de la propriété. De grands arbres empêchaient tout curieux d’apercevoir ne serait-ce qu’un pignon de l’imposante maison et le seul moyen connu de pénétrer le domaine des Malefoy était de passer la majestueuse grille lourdement gardée.
« Le seul moyen connu » car il était évident à tous que les Malefoy ne se risqueraient jamais à n’avoir qu’une seule et unique porte de sortie.
De lourds nuages empêchaient la lune de filtrer et le couple put facilement se glisser à travers les arbres sans être vus. Ils venaient à peine de prendre enfin position derrière un bosquet que Tonks tirait sèchement Remus par la manche afin d’attirer son attention. L’homme se tourna vers elle et vit ses pupilles noires briller dans l’obscurité.
- Rappelle-moi mon métier ? demanda-elle tout bas.
Parfaitement conscient de l’animosité présente dans la voix de Tonks, il répondit prudemment :
- … Auror…
- Bieeeeen, approuva-t-elle avec excessivité. Je voulais juste te le rappeler.
- Je ne comprends pas…
Face à son ton perplexe, la jeune femme émit un soupir agacé puis vint se camper juste sous son nez.
- Je suis parfaitement capable de repérer le meilleur poste d’observation moi-même, Remus. Et puis surtout, je ne suis pas d’humeur à obéir à tes ordres.
Lupin cilla.
- Désolé, je ne voulais pas te commander.
- Eh bien évite de recommencer, tu veux ? grommela-t-elle. Ça nous évitera des échanges houleux.
Pour clore le sujet, Tonks se détourna et écarta doucement une branche afin de jeter un œil sur la grille toujours fermée des Malefoy. Deux hommes massifs vêtus de lourdes capes noires gardaient l’entrée.
Remus se rapprocha.
- Tu es obligée d’être aussi désagréable avec moi ? murmura-t-il à l’attention de la jeune femme.
- Oh ? ça te contrarie, peut-être ? s’enquit-elle avec légèreté sans pour autant se tourner vers lui.
- Un peu oui.
La jeune femme lâcha la branche et posa théâtralement une main sur son cœur.
- Arrête, je sens que je vais pleurer…
Il y avait un tel sarcasme dans le ton de Nymphadora que Remus soupira.
Finalement, il retirait ce qu’il avait dit. Il n’aimait pas la voir ainsi. Il n’aimait pas l’ironie avec laquelle elle lui parlait.
- Je n’ai pas envie de me disputer avec toi, tu sais… dit-il avec lassitude.
- Et moi je n’ai pas envie de te voir, lança-t-elle avec plus de sérieux. Chacun sa croix.
L’espace d’un instant, le masque de Tonks sembla se fissurer, dévoilant une amertume évidente, mais elle se détourna brusquement et fit mine de s’intéresser de nouveau à la grille.
- Et c’est toi qui a la plus lourde, j’imagine… murmura-t-il, plus pour lui-même que pour la jeune femme.
Sa remarque était stupide. C’était lui qui l’avait quittée, il était donc normal que Tonks se jugeât la plus à plaindre.
- Tu comprends vite.
- Tu ne pourras pas passer ton temps à m’éviter, fit-il remarquer doucement.
Le regard qu’elle lui lança lui fit aussitôt regretter ses paroles. Voilà qu’il sous-entendait un besoin de la voir alors qu’il avait passé le plus clair de son temps à la fuir, ces quatre derniers mois.
- Tu veux parier ? lâcha-t-elle, la mâchoire crispée.
- Non, je ne préfère pas…
Remus sentit les yeux de Tonks le détailler puis elle lança avec une évidente incrédulité :
- Quoi ? Ne me dis pas que je te manque ?
Le cœur de Lupin se mit à battre furieusement dans sa poitrine. La réponse jaillit de ses lèvres avant même qu’il ait pu la réfréner :
- Si, bien sûr que si… Notre amitié me manque.
Avait-elle entendu sa voix trembler sur ces derniers mots ? Avait-elle perçu le mensonge ?
Un silence se fit, un silence qu’elle finit par rompre sur un ton laissant peu de doute sur son état d’esprit :
- Notre « amitié » ? répéta-t-elle vibrante de colère. Mmmm… Dis-moi ? Simple curiosité. Il t’arrive souvent de mettre tes « amis » dans ton lit ?
Remus sentit son visage s’empourprer violemment et bénit l’obscurité des lieux.
- … Non… Enfin, tu sais bien que… balbutia-t-il sans parvenir pour autant à finir sa phrase.
- Ça va. Me voilà rassurée… J’imaginais mal Sirius accepter tes marques si personnelles « d’amitié ».
Une gifle aurait eu le même effet. Le visage écarlate de Lupin devint blême et il se détourna.
A quoi d’autre s’était-il attendu, de toute façon ? Elle le haïssait. Et elle avait raison de le haïr. Jamais il n’aurait du accepter cette fichue nuit.
Bien sûr, il était facile pour lui de se montrer maintenant si virulent. De voir en ces quelques heures de plaisir l’objet de leur discorde. Mais autant il déplorait la faiblesse qui avait guidé ses pas jusqu’à l’appartement de Tonks, autant il ne parvenait à regretter ce qui s’y était passé. Et finalement, c’était ce manque total de remords qui était le plus difficile à vivre. Qui était le plus dangereux.
Un nouveau silence pesant s’instaura que Remus se garda bien de rompre, cette fois-ci. Ils attendirent donc, emmitouflés dans leurs capes respectives afin de se protéger vainement du froid, mais une heure plus tard, personne n’était encore arrivé. Lupin finit par froncer les sourcils, tapant machinalement du pied afin de se réchauffer.
- Pour une soirée mondaine, il y a bien peu de monde, fit-il remarquer avec prudence.
Il n’avait guère envie de se voir de nouveau railler.
- Il est encore tôt, répondit Tonks en regardant sa montre. Mais je vais aller faire le tour de la propriété au cas où.
- Non, intervint-il aussitôt en se redressant. Tu sais très bien qu’on ne doit pas se séparer.
La jeune femme eu un sourire glacé.
- Ah bon ? Pourtant tu adores ça.
Les muscles de Remus se crispèrent sous cette nouvelle pique, mais il eut la satisfaction de voir Tonks reprendre sa position initiale, le regard rivé à la grille toujours fermée.
Quelques secondes plus tard, un premier craquement retentit. Ce n’était pas la première fois que Lupin était de garde lors de soirées similaires et il ne fut guère surpris de voir transplaner un couple de sorcier juste devant l’entrée. Un « repousse-Moldu » avait certainement été lancé autour du Manoir par les Malefoy afin d’éviter toute rencontre éventuelle et fortuite. Les deux gardes s’inclinèrent aussitôt devant le couple, regardèrent soigneusement l’invitation que leur tendait la femme puis les lourdes grilles s’ouvrirent dans un grincement à peine audible.
- Ce sont les Crabe, indiqua inutilement Remus.
- Jusque là, rien de surprenant.
Ils durent attendre quelques minutes encore avant qu’un second couple n’apparaisse dans un « Crac » familier.
- Les Cornwell, tiens donc… maugréa Tonks.
- N’oublie pas qu’il s’agit officiellement d’une soirée mondaine. Je doute que Lucius ait fait la bêtise de n’inviter que des Mangemorts.
- Alors à quoi ça nous sert, de poireauter ici… ?
Un sourire aux lèvres, Remus ne prit pourtant pas la peine de répondre. Posséder une liste même partiellement inexacte de Mangemorts apporterait un avantage stratégique certain à l’Ordre. Et cela, Nymphadora le savait parfaitement.
D’autres craquements suivirent bientôt, annonçant l’arrivée d’un nombre impressionnant d’invités. L’obscurité des lieux, à peine éclairés par deux lanternes à hauteur des grilles, ne facilitait guère la tâche de Remus et de Tonks. Certains sorciers portaient de lourdes capes munies de capuches et il leur était alors impossible de les reconnaître. Trois autres gardes étaient venus prêter main forte aux deux premiers et Lupin vit avec inquiétude l’un d’eux s’avancer lentement dans leur direction. Nymphadora relâcha doucement la branche qu’elle tenait écartée et fit prudemment quelques pas en arrière. Lorsqu’elle parvint à ses côtés, Remus posa machinalement une main sur l’épaule de la jeune femme et elle s’immobilisa.
Le pas lourd du garde résonnait sur le chemin pavé séparant le bosquet de l’entrée du Manoir et comble de malchance, ce fut cet instant que choisit la lune pour apparaître à travers les épais nuages. Les doigts de Lupin se crispèrent sur l’épaule de Tonks et d’un même mouvement tous deux s’accroupirent afin de se dissimuler le mieux possible derrière l’un des nombreux arbres. En cette période hivernale, leur cachette manquait cruellement de feuilles protectrices et lorsque l’homme parvint enfin à la lisière du bosquet, Remus se saisit fermement de sa baguette magique. Du coin de l’œil, il vit Nymphadora en faire de même et tous deux attendirent, l’oreille aux aguets. Mais le garde poursuivit paisiblement sa route, longeant les abords du petit bois, et le bruit de ses pas s’atténua peu à peu.
Lupin émit un faible soupir et Tonks fit un geste brusque afin de s’écarter de lui. Il retira aussitôt la main de son épaule et se redressa. Son regard se leva machinalement vers le ciel, attiré par la lune, et son estomac se tordit instantanément de terreur. Encore très partiellement cachée par un nuage, sa forme pleine réveilla en lui ses pires craintes. D’un mouvement instinctif, il repoussa Tonks mais réalisa la stupidité de son geste lorsque sa raison reprit le dessus. La pleine lune était demain soir.
Il était hélas trop tard. De surprise, Nymphadora avait émis une brève exclamation et Remus sentit son cœur se glacer. Un cri, un appel retentit alors, suivi d’un concert de pas hâtifs et, la seconde suivante, les branches mortes de leur cachette s’écartèrent.
- Stupéfix ! s’exclama le premier garde, pointant sa baguette vers Nymphadora.
La jeune femme parvint à esquiver le tir en se jetant sur le côté mais l’homme lança sans attendre un autre sort qu’il ne prit cette fois-ci pas le temps de nommer. La peur au ventre, Remus s’interposa en levant à son tour le bras :
- Protego totalus !
Un bouclier apparut mais Lupin n’avait pas été assez rapide. Tonks fut brutalement projetée contre lui et s’effondra dans ses bras instinctivement ouverts. Sans attendre une seconde de plus, Remus agrippa la jeune femme de sa main libre et, dans un craquement sonore, ils transplanèrent.
*****
Un chat émit un miaulement effrayé et s’éloigna précipitamment lorsque le couple réapparut dans la ruelle adjacente à l’immeuble de Tonks. De ce côté de Londres, la lune était partiellement cachée et les lieux peu éclairés. Dans un état second, Nymphadora sentit les bras de Lupin la relâcher doucement et se contraignit à prendre appui sur ses pieds, mais une violente douleur lui coupa les jambes. Elle serra aussitôt les dents. Elle n’avait aucune envie de gémir devant Remus.
- Comment tu te sens ? demanda-t-il, inquiet. Tu veux aller à Ste Mangouste ?
- Non… grommela-t-elle en cherchant à s’écarter. Je devrais survivre.
- Tu es sûre ?
- Oui.
- … Très bien. Je te ramène chez toi.
- J’y suis déjà, railla-t-elle, mais Lupin ne semblait guère d’humeur à jouer sur les mots.
- Tu m’as très bien comprise.
Et sans lui laisser la moindre chance de protester, il passa un bras autoritaire dans son dos et l’aida à rejoindre l’entrée de l’immeuble. Rendue docile par la douleur et le besoin pressant de voir se finir cette soirée désastreuse, Tonks se laissa faire.
Son animosité n’avait fait que grandir depuis le début de cette fichue mission. Elle s’y était préparée, pourtant. Elle s’était jurée de parler le moins possible, d’éviter toutes esclandres qu’elle aurait pu juger humiliantes, après coup. Mais le voir. Entendre sa voix. Sentir son regard. C’était insupportable.
Il aurait dû l’ignorer. Il aurait dû retrouver le comportement qui avait été le sien ces derniers mois, lorsqu’il tentait par tous les moyens de l’éviter. Tout aurait été si simple, tellement plus simple s’il n’avait pas cherché à garder son « amitié ».
Cette simple pensée raviva sa colère.
« Amitié » !
- C’est bon, dit-elle glaciale, une fois la porte du salon refermée sur eux.
Remus consentit à la lâcher et Nymphadora fit quelques pas afin de se mettre à distance. Une main crispée sur l’une de ses hanches, elle s’appuya lourdement contre le dossier du canapé et se tourna vers Lupin.
- Pour qui me prends-tu, à la fin ? s’exclama-t-elle. Tu crois vraiment que je serais allée en mission avec toi, une nuit de pleine lune ? Je suis Auror, Remus ! C’est mon travail de faire attention à ce genre de chose !
- … Je le sais, soupira Lupin, pâle et fatigué. Je suis sincèrement désolé. Je n’ai pas réfléchi.
Pas réfléchi ? C’était bien la première fois, songea-t-elle avec agacement.
Mais malgré elle, son irritation faiblit.
Elle avait vu sa peur. Elle avait vu sa terreur, lorsque, les yeux levés vers le ciel, il avait perdu, un bref instant, toute notion du réel. Comment lui en vouloir ?
Comment pourrait-elle lui en vouloir ?
Nymphadora ferma les yeux.
Pourquoi ne pouvait-elle tout simplement pas le haïr ? Pourquoi le son de sa voix lui ôtait-il tout désir de rébellion ? Pourquoi le savoir à quelques pas d’elle, dans son appartement, affaiblissait sa volonté ?
Elle s’était pourtant juré d’arrêter. De l’oublier.
Alors pourquoi n’avait-elle qu’une envie… le supplier de rester ?
La main de Tonks se crispa sur sa hanche douloureuse.
Remus devait partir. Il devait absolument s’en aller.
- Montre-moi ta blessure, dit-il en s’avançant vers elle.
Nymphadora se raidit aussitôt et s’empressa de le repousser. Sa respiration s’était faite plus forte et une légère sueur perlait sur son front.
Il devait sortir. Elle ne voulait pas le supplier.
- Je me débrouillerai aussi bien toute seule. Tu peux y aller.
- Tu es blanche comme un linge, insista-t-il en esquivant les mains de la jeune femme qui cherchait à l’éloigner.
Elle n’abandonna pourtant pas et se débattit avec plus de force. Sa fatigue, sa détresse rendaient ses gestes chaotiques. La douleur dans sa hanche la faisait suffoquer. Avec un profond sentiment d’humiliation, elle sentit ses yeux se voiler et baissa vivement la tête, afin de cacher son visage derrière ses cheveux.
Il ne devait pas voir à quel point elle était faible. A quel point elle se sentait faible. Il ne devait pas voir à quel point elle l’aimait.
- Par Merlin, Nymphadora ! s’exclama-t-il en lui saisissant les poignets. Ne sois pas si butée ! Je vois bien que tu souffres !
Souffrir ? Croyait-il vraiment que sa blessure était la cause de tout cela ?
Dans un gémissement, Tonks finit par se redresser et Lupin se figea. Elle n’aurait su dire ce que trahissait son visage, mais les mains de Remus faiblirent à sa vue et elle se dégagea vivement.
- Tu ne comprends donc pas ? dit-elle d’une voix cassée. C’est toi qui me fait mal, pas cette fichue blessure ! Va-t-en ! Je ne veux plus te voir ! Sors d’ici !
- Nymphadora…
- Et je t’interdits de m’appeler comme ça ! Tu m’entends ? Tu n’en as plus le droit !
Elle vit Remus pâlir mais loin de la calmer, cela ne fit que rendre sa colère plus grande encore.
- Oh, je t’en prie ! Ne fais pas cette tête-là, comme si c’était toi la victime ! s’exclama Tonks. Tu as ce que tu voulais, non ? Alors pourquoi me regardes-tu ainsi ?
- … Je n’ai jamais voulu ça… parvint-il à articuler. Je n’ai jamais voulu…
Il se tut et passa une main lasse sur sa nuque. Elle observa son visage figé, son silence obstiné. Rien ne changerait jamais.
- Allez, Remus, dit-elle, désabusée. Reste donc dans ton petit monde solitaire. Tu ne souffriras pas, comme ça. Tu ne seras jamais blessé, toi. C’est ce que tu veux, n’est-ce pas ?
Un profond sentiment de révolte saisit Lupin et il se redressa. Que croyait-elle ? Qu’elle était la seule à éprouver de la douleur, qu’elle était la seule à avoir des regrets ?
- C’est pour te protéger ! lança-t-il avec une colère à peine contenue. C’est pour toi, tout ça !
- Pour « moi » ? Tu plaisantes, j’espère ?
- Je ne peux et ne pourrais jamais approuver une relation avec toi, dit-il avec plus de calme, la mâchoire pourtant crispée.
Le teint de Tonks se fit cireux mais il enchaîna :
- Nymphadora… Je n’ai rien à t’apporter. Rien du tout. J’ai le double de ton âge, je suis pauvre et ça ne s’arrangera pas avec le temps. Je vis au jour le jour sans jamais savoir si la semaine suivante j’aurais de quoi me payer ne serait-ce qu’un logis. Personne, tu m’entends, personne ne consentira jamais à s’encombrer d’un Loup Garou, alité trois jours par mois dans le meilleur des cas. Malade pendant trois semaines dans le pire. Et je ne parle même pas du danger que je représente lorsque Severus n’est pas là pour me faire ma potion.
Ces arguments, Tonks les avait souvent entendus et, à l’inverse du but recherché, ce discours l’avait toujours motivée. Finalement, c’était pour elle qu’il se refusait. Pas par manque de sentiments ou par incompatibilité d’humeur. Mais pour elle.
Sa colère envolée, la jeune femme s’adossa de nouveau contre le canapé.
- Mais je me fiche de tout cela, murmura-t-elle avec lassitude. Je te l’ai déjà dit.
- Tu t’en fiches maintenant. Tu t’en fiches parce que… c’est encore nouveau pour toi.
- Nouveau ? répéta-t-elle en soupirant. Je me demande vraiment quelle opinion tu as de moi. Lorsque je t’écoute, j’ai le sentiment d’être une gamine immature et instable.
Elle redressa pourtant la tête et plongea un regard implorant dans le sien. Elle allait jeter les derniers lambeaux de sa fierté mais après tout, qu’avait-elle à perdre qu’elle n’ait déjà perdu ?
- Mais je ne suis pas une gamine, Remus. Je suis une femme. Et je suis amoureuse de toi.
Lupin se figea.
Bien sûr, il s’en doutait. Il s’en doutait depuis ce fameux matin où elle lui avait demandé de revenir. Où elle avait sous-entendu ces sentiments pour lui.
Mais cette fois-ci, il n’y avait plus de doutes, plus de spéculations, plus de questions sans réponses.
« … je suis amoureuse de toi. »
Le cœur de Remus sembla se dilater dans sa poitrine, son corps lourd et fatigué reprendre vie. Il avait chaud. Il étouffait. Mais jamais il ne s’était senti aussi bien. Un geste et il pouvait avoir cette femme merveilleuse. Un signe et il n’aurait plus mal, il ne souffrirait plus. Il ne serait plus seul. Tout était à portée de lui. Il n’avait qu’une seule chose à faire.
Mais malgré son désir brûlant, son besoin viscéral de tendre la main vers Tonks, il ne fit rien. Il n’esquissa pas le moindre geste.
Sa raison, toujours. Ses peurs, encore.
- Je ne pourrais jamais approuver une relation avec toi, répéta-t-il d’une voix si faible qu’il doutait être intelligible. Je me refuse d’aller vers toi. De t’imposer cela.
Mais il était trop tard. Tonks avait vu l’envie dans son regard bouleversé. Elle y avait perçu son besoin d’elle, et un sourire vint étirer les lèvres de la jeune femme.
- Alors c’est moi qui le ferai.
Remus leva les yeux et la regarda s’avancer. Il n’avait pas la volonté de céder. Mais il n’avait pas non plus la force de la repousser. Et Tonks venait enfin de le comprendre.
Ses bras semblaient peser une tonne, ses jambes étaient soudées au plancher. Il n’arrivait plus à bouger et seul son souffle irrégulier lui prouvait qu’il ne s’était pas fait stupéfixer. La jeune femme s’arrêta à sa hauteur et posa prudemment la tête sur son torse.
Remus ferma les yeux.
Doucement, timidement, Nymphadora vint se lover contre lui et il laissa un gémissement de contentement passer le barrage de ses lèvres. Ses bras retrouvèrent comme par magie leur motricité et vinrent s’enrouler autour de la jeune femme.
Elle se raidit aussitôt en émettant une plainte étouffée.
- Ta blessure ! s’inquiéta Remus, cherchant de suite à l’écarter.
Mais ne tenant pas compte de ses efforts, elle se pressa contre lui.
- Pas grave… chuchota-t-elle.
- Mais il faut te soigner…
- Pas grave, répéta-t-elle en soupirant d’aise. Attend un peu… Juste un peu.
Il entendait le sourire dans sa voix. Il sentait son bonheur à la façon dont elle pressait son visage contre son torse. Il devinait son soulagement à sa respiration soudain paisible.
Alors il sourit.
Lui aussi était heureux. En cet instant précis, il se sentit même comblé.
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Un léger mouvement tira Tonks de son sommeil mais elle resta immobile, les paupières closes. Elle sentait la lumière du jour caresser sa joue et sut que le soleil était levé depuis un moment déjà. L’oreille tendue, des pas feutrés lui parvinrent et bientôt la porte de la salle de bain se referma.
Elle ouvrit les yeux.
Une désagréable impression de déjà-vue saisit la jeune femme mais elle chassa rapidement cette pensée de son esprit. C’était différent aujourd’hui. Il fallait que ce soit différent.
Ils ne s’étaient pourtant pas beaucoup parlés la veille au soir. Remus avait insisté pour s’occuper de sa blessure, avait bien pris soin d’appliquer une crème cicatrisante sur la plaie qui zébrait sa hanche et l’avait incitée à se mettre au lit sans attendre. Mais avec soulagement, elle l’avait vu se dévêtir à son tour puis la rejoindre sans qu’elle ait eu besoin de le lui demander. Et elle s’était paisiblement endormie sous la caresse légère de ses doigts.
Tonks soupira et entendit bientôt l’eau de la douche ricocher contre les parois de verre.
Lupin ne lui avait rien dit de ses propres sentiments. Mais même amoureux, elle l’imaginait très mal se lancer dans une déclaration enflammée… Elle se contentait de se rassurer en songeant à ce qu’il avait dit, la vieille. A ce besoin de la protéger « elle ».
« Je ne pourrais jamais approuver une relation avec toi. Je me refuse d’aller vers toi. De t’imposer cela. »
Il faisait passer ses propres désirs après son bonheur à elle. N’était-ce pas une preuve d’amour ? Ou d’une forme particulière d’amour ? Alors… son silence n’avait que peu d’importance, finalement. Il y avait quelque chose entre eux. Des sentiments. Et c’était tout ce qui importait.
Au bout de quelques minutes, le bruit de la douche cessa et la jeune femme soupira de nouveau, cherchant à faire taire la panique qui l’étreignait. Elle l’entendit s’affairer dans la salle de bain puis la porte s’ouvrit de nouveau. Tonks avait songé un bref instant à jouer les belles endormies mais y avait finalement renoncé et lorsque Remus pénétra dans la chambre, les cheveux encore humides mais habillés, il s’arrêta sur le seuil.
Emmitouflée dans la couverture, les mains crispées sur la laine épaisse, la jeune femme attendit.
- Bonjour, dit-il finalement en souriant.
Les doigts de Tonks se détendirent.
- Bonjour, répondit-elle sur le même ton.
- Ta blessure te fait encore mal ?
- Non, ça va. Je ne sens presque plus rien, mentit-elle.
Il hocha la tête avec soulagement puis enfonça nerveusement les mains dans les poches de son pantalon. Un silence assez embarrassant se fit que Tonks eut du mal à s’expliquer. Elle avait l’étrange impression que Remus ne savait ni quoi faire, ni quoi dire. Comme s’il se retrouvait pour la première fois de sa vie dans une situation qu’il n’avait jusqu’ici jamais eu à gérer.
- Je vais… Je vais devoir y aller, dit-il finalement en montrant la pendule multicolore sur le mur qui indiquait neuf heures moins dix. La réunion…
- Très bien. Veux-tu que je vienne avec toi ?
- Non, s’empressa-t-il de répondre, un peu trop rapidement au goût de Nymphadora.
Il dut la sentir blessée par la vivacité de son refus car il s’approcha et s’assit doucement sur le lit.
- Ce n’est pas utile, poursuivit-il. Tu dois te reposer.
La jeune femme observa le visage sincère de Remus et se détendit. Il n’en restait pas moins évident que Lupin était tout sauf à son aise.
- Quelque chose ne va pas ? osa-t-elle demander.
- Non, tout va bien.
- Je t’ai déjà vu plus stoïque, railla-t-elle en se redressant sur un coude.
Le regard de Remus glissa rapidement sur les épaules nues de la jeune femme puis d’une main tremblante, il rajusta le drap qui menaçait de dévoiler sa poitrine. Tonks ne put retenir un sourire amusé.
- Tu sais que c’est le genre de geste qui me donne envie de balancer la couverture à l’autre bout de la pièce, juste pour voir la tête que tu ferais, rajouta-t-elle non sans sarcasme.
Lupin baissa les yeux, une rougeur suggestive sur les joues. Il sembla hésiter quelques secondes puis finit par soupirer :
- Je ne suis pas habitué.
- Habitué ? demanda-t-elle sans comprendre.
- Habitué à… tout ça.
- Comment ça… « tout ça » ?
- Nymphadora… grommela-t-il en lui jetant un regard agacé.
- Si tu étais plus clair, je ne serais pas obligée de tout répéter ! s’insurgea-t-elle aussitôt.
Remus soupira de nouveau.
- Le lendemain matin... Tous les deux... Je ne suis pas habitué...
Il continua de bafouiller encore quelques paroles sans aucun sens puis, devant le regard incrédule de la jeune femme, il finit par répliquer :
- Enfin peu importe…
Il se leva brusquement mais Tonks tendit vivement la main afin de le retenir.
- Hep ! Reste-là !
Les doigts agrippés au poignet de Remus, elle l’obligea à se rasseoir à ses côtés. Son cœur battait si fort dans sa poitrine qu’elle en avait presque le tournis.
- Tu sais, ce n’est pas bien compliqué, dit-elle finalement, un fin sourire sur les lèvres.
Mais comme il ne répondait pas, son regard fuyant trahissant une gêne évidente, elle tendit le cou vers lui.
- Il te suffit juste de m’embrasser.
Remus cessa aussitôt de s’agiter et se tourna vers la jeune femme. Il n’y avait plus ni moquerie, ni sarcasme dans la voix de Tonks. Juste de la douceur, de la tendresse et une pointe évidente de désir.
Elle le vit s’humecter machinalement les lèvres et ses yeux glisser lentement vers sa bouche.
Ce n’était qu’un baiser, après tout, et ils s’étaient déjà embrassés auparavant. Pas depuis leur réconciliation, certes, mais ce n’était pas la première fois. Et pourtant…
Et pourtant, ce baiser semblait symboliser quelque chose de neuf. Les prémices d’une relation nouvelle.
Les doigts crispés sur la couverture de laine, la jeune femme se rapprocha un peu plus de Remus mais se contraignit à s’arrêter à quelques centimètres à peine.
Elle savait qu’il n’approuvait et n’approuverait peut-être jamais leur liaison. Elle avait parfaitement compris que si elle le voulait, c’était à elle de franchir la distance qui les séparait. Mais pour ce baiser. Pour ce baiser-là, elle désirait plus que tout le voir prendre l’initiative. Même si cette initiative consistait à ne tendre le cou que de dix petits centimètres.
Ce qu’il fit.
Ses longs doigts glissèrent sur sa joue, effleurèrent sa peau puis plongèrent doucement dans ses boucles de couleur vive. Nymphadora ferma les yeux.
Leur baiser ne fut semblable à aucun autre.
Il n’y eut ni passion, ni fièvre, ni frénésie mais une douceur, une délicatesse qui la bouleversa. La bouche de Remus caressait ses lèvres avec une telle tendresse, un tel abandon que Tonks ne pouvait plus douter. Il était sincère. A travers ce baiser, il n’y avait plus de sentiments cachés.
Il y avait juste des sentiments.